Chronique

Après les premiers jours de la pandémie, la tentation du tout-télétravail agitée par quelques-uns m’avait, c’est vrai, mis en colère. Plus d’un an après, reconnaissons-le, une forme de pragmatisme semble s’imposer. Interrogés par Elabe, 60% des Français (1) (et 54% des actifs) sont favorables à l’instauration d’un temps de travail réparti entre présentiel et distanciel à la fin de la crise. Dans cette même étude, le souhait de télétravailler – pour ceux dont le métier le permet – s’établit majoritairement autour d'un à deux jours par semaine. Pas question donc de revenir à la situation d’avant mais inenvisageable également de basculer en télétravail complet : les actifs ne sont que 15% à exprimer ce souhait. Loin de la doxa de ceux qui voulaient « rendre leur bureau », les salariés concernés eux-mêmes ont identifié le point d’équilibre, celui qui permet d’en avoir les avantages et d’en limiter les inconvénients. Les entreprises, de leur côté, l’ont bien compris et vont à des degrés divers, en fonction des métiers et des secteurs, ouvrir les portes à cette évolution majeure et accompagner ce qui sera une accélération profonde engendrée par la crise sanitaire.  

Si cet équilibre s’installe, c’est parce que les salariés commencent à faire l’inventaire de ce qui marche et de ce qui ne marche pas et que la balance reste à ce stade favorable au présentiel. Certes, s’agissant de l’équilibre vie privée-vie professionnelle, de l’autonomie, de la capacité à se concentrer comme de la gestion du stress, les avantages du distanciel sont perçus favorablement. Mais en termes de vie sociale, de formation, de travail en équipe, de sentiment d’appartenance, de conditions de travail, les avantages accordés au présentiel l’emportent nettement pour les actifs concernés et sont au total plus nombreux que les acquis permis par le télétravail.  

Ces résultats indiquent aussi des pistes pour l’entreprise si elle veut continuer de justifier des atouts du présentiel : le besoin de recréer du commun et des moments collectifs, l’intensification de la formation pour les jeunes et la généralisation du tutorat pour les nouveaux recrutés, la proximité managériale, et bien sur la réflexion sur les espaces de bureaux (2). 

Comment gérer sur la durée ?

Reste un risque majeur auquel le développement du télétravail nous expose tous. D’abord au sein de structures comme les nôtres, pourtant homogènes en termes de métiers : d’abord c’est celui de l’exclusion, celui qui fait que l’autonomie, la montée en compétences soient réservés à ceux qui ont le plus d’atouts, à ceux qui ont déjà les codes. Signal faible d’ailleurs : les jeunes sont plus nombreux que la moyenne (33% vs 26%) à estimer qu’il faudrait revenir à la situation d’avant-crise.  

Autre risque également, voir demain s’installer là ou l’activité sur site reste majoritaire, une entreprise à deux vitesses. Comment gérer sur la durée, deux modes de travail, deux types de vies professionnelles différentes qui vont plus ou moins bien coexister et ne manqueront pas de faire naître rivalités, jalousies. La reconnaissance d’une évolution professionnelle se traduira t-elle demain par la possibilité d’être en télétravail ?  

Cette question vaut d’ailleurs pour la société tout entière. Le souffle des Gilets jaunes pèse encore sur notre pays avec le sentiment d’injustice qu’il a exprimé. Demain, quand 30% des actifs pourront choisir de travailler chez eux une ou deux journées par semaine, alors que d’autres quittent leur domicile invariablement tous les matins à 6h45, le télétravail ne s’installera-t-il pas comme une nouvelle fracture ? Ne creusera-t-il pas aussi un déséquilibre supplémentaire entre diplômés et non-diplômés, entre des enfants à qui on dira peut-être demain : « si tu ne travailles pas bien à l’école et que tu n’as pas ton diplôme, tu ne pourras même pas choisir d’être en télétravail ».  

Un nouvel équilibre s’installe autour du télétravail pour une partie de la société. C’est une bonne chose aux yeux d’une partie des actifs. Mais attention à ce que l’équilibre gagné pour certains ne devienne pas, pour d’autres, une nouvelle injustice. 

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