Dans un an déjà, la France choisira son président de la République. Le rendez-vous cardinal de notre vie politique, dans un pays où on attend tout ou presque du président, se prépare dans un contexte inédit, marqué par la crise sanitaire, et laissant entrevoir des inconnues majeures rendant les pronostics impossibles.
1/ L’abstention triomphante ? Avec 22% au premier tour, 25% au second (ou le niveau de blancs et nul était de surcroît très élevé), le cru 2017 s’était révélé assez médiocre sans pour autant traduire un effondrement. Alors que tous les indicateurs, notamment ceux de la confiance envers les institutions, sont au plus bas, alors que le jugement sur l’efficacité des politiques est souvent sévère, la logique voudrait qu’en droite ligne des tendances enregistrées (à l’exception des européennes), le recul de la participation se poursuive avec pour corollaire la montée de la part du vote protestataire dans les suffrages exprimés notamment au second tour. C’est ce qui aujourd’hui rend l’hypothèse d’une victoire de Marine le Pen plausible, c’est-à-dire un scenario qu’il n’est pas possible d’écarter.
2/Quelle sortie de crise ? En aurons-nous totalement fini avec la crise sanitaire ou nous débattrons-nous encore avec les variants ? Lorsqu’on demande aux Français « quand retrouverons-nous une vie normale ? », un sur deux répond pas avant 2022, et un quart d’entre eux choisit cette terrible réponse : « jamais ». Globalement très critiques sur la gestion de la crise sanitaire (l’action économique mise à part), la tentation du vote sanction sera forte. Une partie des électeurs nuancera t-elle ce constat par un double benchmark : Les opposants auraient-ils faits mieux ? Les autres pays ont-ils vraiment fait mieux ? Enfin, même en faisant le pari de l’optimisme sanitaire, serons-nous dans un moment de reprise économique, ou en plein cœur de la crise sociale avec son cortège de licenciements et de précarités, ce qui aurait un impact direct sur la campagne électorale. À l’égard du président sortant, les Français se rendront aux urnes avec une question clé : « nous a-t-il protégés » ou « nous a-t-il exposés ? ».
3/ Sur quels thèmes ? L’histoire des campagnes n’est pas à ce sujet très linéaire. Si « la fracture sociale » ou « le travailler plus pour gagner plus » ont marqué 1995 et 2007, 2012 et 2017 se sont plutôt joués sur une posture « le président normal » pour Hollande, et le mix « renouveau-en même temps » pour Macron. Et 2002 s’était singularisée par une focalisation sur les questions de sécurité, qui seront bien sur très présentes en 2022. Les enjeux économiques, emploi et pouvoir d’achat, restent à date dans le peloton de tête des préoccupations. Mais si on observe les grandes tendances depuis cinq ans, c’est bien sûr l’enracinement des enjeux environnementaux et la focalisation sur les questions de santé qui est marquante. Ce couple santé-environnement sera-t-il au centre de la campagne, constituera-t-il un déterminant du vote, ou fera t-il figure de passage obligé ?
4/ Match retour ou balles neuves ?
À un an de l’élection, il faut prendre les sondages pour ce qu’ils sont, une photographie à T0 des rapports de force. Ils indiquent pour l’instant une polarisation autour des deux finalistes de 2017. Mais ce match annoncé satisfait-il vraiment les attentes ? Il est toujours possible que l’offre électorale laisse émerger un « troisième homme », ou un candidat indétectable aujourd’hui sur les radars politiques classiques. La demande de renouveau version soft, ou le dégagisme version dure est toujours à l’œuvre. Depuis la défaite de Churchill en 1945, on sait qu’après une crise, les citoyens peuvent vouloir tourner une page et se débarrasser des visages qui évoquent en eux le temps de l’épreuve.
5/ Clivages ou rassemblement ? C’est bien sur l’enjeu essentiel. Au moment ou 75% des Français pensent que la crise a renforcé les fractures et les divisions, et alors que nos concitoyens attendent toujours d’un président qu’il incarne le rassemblement, rien ne laisse penser que les candidats se préparent dans cet esprit. Les causes en sont multiples : l’échéance qualificative du premier tour, la difficulté à rayonner au-delà de son couloir politique, la polarisation du débat public y sont pour beaucoup. Si la campagne se fait sur les clivages, le président élu aura bien du mal ensuite à exercer son mandat face à un pays morcelé. Et s’il faut attendre le second tour pour parler rassemblement, quinze jours sembleront bien courts.
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