Design et branding, même combat ? C’est une question qui mérite d’être examinée, à l’aune du sens et des enjeux du monde d’après ! Cette opposition, a priori picrocholine, dit beaucoup de choses sur cent ans d’évolution d’une discipline, le design, qui émerge en Allemagne sous sa forme actuelle à l’initiative d’un industriel éclairé. En 1907, Emil Rathenau, directeur de l’usine Allgemeine Elektricitäts-Gesellschaft, demande à Peter Behrens de s’occuper de l’« image » de son entreprise. L’architecte et plasticien dessine le logotype AEG – dont la typographie est jusqu’à aujourd’hui demeurée inchangée –, les bâtiments, les bureaux, les magasins, les produits, leur packaging et les affiches qui en font la promotion. Il pose ainsi les premiers jalons d’un dialogue entre formes, fonctions et usages dans un cadre global qu’adopteront de nombreuses écoles de design, puis les entreprises engagées dans une révolution industrielle galopante. En Europe, les designers s’emparent de sujets à forte valeur sociétale ajoutée : adaptation à l’outil de production, modèle économique, hygiénisme, fonctionnalisme, ergonomie, esthétique, et accompagnent ainsi une idée humaniste du progrès. Pendant ce temps, aux États-Unis, comme le développe parfaitement Jean-Louis Fréchin dans Le design des choses, c’est une logique consumériste qui prend l’ascendant. Harley J. Earl, designer de General Motors, invente le styling et applique à l’industrie automobile le système de la mode, une saison chassant l’autre pour en accélérer artificiellement le renouvellement. Quant à Clifford Brooks Stevens, beaucoup lui attribuent la conceptualisation de l’obsolescence programmée. Après-guerre, la déferlante du marketing assène que l’on peut laver plus blanc que blanc. Le design troque alors ses engagements humanistes contre une logique de stimulation de la consommation.
Embarqués dans ce diktat de la nouveauté que confirme aujourd’hui le ressac permanent des mises à jour des produits numériques, nous sommes nombreux à ne pas avoir relevé le nez du guidon. S’il a utilisé les outils techniques du design, sa rigueur, sa maîtrise des langages formels, typographiques et coloriels, le branding n’en a que trop rarement conservé l’âme. Il s’est rangé du côté des marques et n’a plus porté de regard global et bienveillant sur le monde qu’on habite. Nous avons saccagé les périphéries urbaines. Pire, nos pairs et nous-mêmes avons anonymisé la planète en bâtissant partout des lieux identiques et apologétiques de l’hyperconsommation. Le branding a nivelé par la marque le local, le modeste, l’exotique pour imposer la puissance et le semblable comme seul référent.
Nous sommes devenus les thuriféraires de l’excès
Les acteurs avant-gardistes et révolutionnaires qui ont donné naissance au design comme vecteur d’émancipation et d’un futur préférable ont laissé leur place aux Storm Patrol de l’empire libéral, dessinant à l’envie des produits identiques et suremballés. Nous sommes devenus les thuriféraires de l’excès.
L’heure est pourtant à la résistance, à la réparation et les designers ont, à ce titre, des fondamentaux à réactiver. L’attention portée aux autres, l’inclusivité des réponses, la simplification, l’économie de moyens sans rien renier de la créativité sont au cœur de démarches innovantes aptes à répondre aux attentes nouvelles des citoyens et des consommateurs. Fort de cette éthique de responsabilité, le branding a beaucoup à apporter aux marques engagées et à leurs contributions positives. Il est un formidable médiateur pour dessiner un monde désirable et joyeux, généreux et vivable. Pour tisser des liens durables avec tous leurs publics, pour rendre tangible, par la preuve, par la qualité intrinsèque et l’origine des produits, par un usage tempéré des signes et par la maîtrise de l’impact environnemental, par une pédagogie débarrassée des sornettes du marketing, par la conception de services associés, les valeurs qu’elles revendiquent. Autant d’occasions de réconcilier design, branding et Contributing®.