Panique à bord sur les marchés. Les consommateurs veulent de la transparence dans tout : les ingrédients, les formules, les moyens et conditions de fabrication, les intérêts financiers, le partage de la valeur... Il faut dire... Assaillis d’injonctions contradictoires, toujours plus nombreuses (bio, équitable, végane, recyclé, recyclable, en vrac, local, zéro carbone...), les consommateurs citoyens tentent de s’y retrouver dans une jungle de labels et de messages parfois contradictoires, scannant à tour de bras, à l’aide de leurs applis préférées, telles des cannes blanches dans l’obscurité de nos décisions d’achat.
Car ça y est, on commence à piger. On a réussi à faire comme si de rien n’était, la tête dans le sable, pendant des années mais là on voit ! On raccroche les wagons. On fait le lien entre l’épuisement des ressources, la pollution, le dérèglement climatique, les crises sociales, l’explosion des cancers et autres maladies cardio-vasculaires. On comprend même les drames humains, les exilés climatiques, le népotisme des despotes dans les pays producteurs des ressources qui se raréfient. On fait le lien avec ce qu’on achète, ce qu’on donne à manger à nos enfants, ce que l’on jette aussi. Alors, oui, forcément, le réveil est douloureux. Nombreux parmi nous restent encore groggy debout ou se réfugient dans le déni et la colère pour éviter le collapse personnel, mais la bascule se fait. Dans ce réveil nauséeux de lendemain de fête, on a besoin qu’on nous explique deux trois trucs non ? c’est humain. On a le droit de savoir.
« Vous savez, c’est trop moche à voir »
Du coup, nous, les communicants, nous voilà au pied du mur : faut-il tout dire ? tout montrer ? Tout raconter ? Quelle posture adopter, quelles réponses donner ? Je me souviens de cette directrice de la communication, susurrant faussement complice à une Élise Lucet gourmande qu’elle ne souhaitait pas montrer des images de ses usines : « vous savez, c’est trop moche à voir » (sic). Cette sincérité sur la non-transparence fit mauvais effet.
C’est vrai que nous n’avions jamais imaginé que nous aurions, un jour, à révéler les arrière-cuisines de nos boutiques. Nous, notre métier c’est de vendre le produit, la marque, la dégustation, l’excellence, la performance pas l’abattage, les décoctions, les bêtes en batterie, les ouvrières du Bangladesh... Pourtant, n’est-ce pas précisément ce qui nous est demandé ? De plus en plus de consommateurs réclament de pouvoir choisir et d’acheter en connaissance de cause. Les associations de consommateurs et les ONGs prennent le relais de façon de plus en plus pressante.
Mais alors qu’est-ce qui nous empêche d’y aller ? Pourquoi cela nous paraît-il si difficile ? Sans doute, parce que notre métier de communicant a longtemps été centré sur l’activation des ventes, structuré par la publicité, discipline reine et ses mesures GRP. Cet exercice tellement délicat qui nous demande de faire entrer sur une page, une affiche ou un format 30 secondes la présentation d’une offre. On nous a appris la synthèse, l’efficace, le mémorable tandis que l’époque nous demande de répondre à tant de questions sur tant d’items. La culture de nos entreprises, aussi, qui ont fait du secret une arme de contrôle et de management.
Une communication plus complexe à assumer
Notre chemin serait donc d’accepter la complexité d’une communication qui ne cache pas, n’embellit pas, répond vraiment et surtout répond à tout. Cette nouvelle voie nous oblige à revisiter les formats de communication, le temps consacré aux échanges, les organisations à redessiner en conséquence. Il faut pour cela nous convaincre de notre rôle social : celui de répondre à nos publics, tous nos publics. C’est une sacrée expérience humaine car elle nous semble encore contre-nature. On a l’impression de marquer contre son camp. Mais celles et ceux qui se sont engagés sur ce chemin-là peuvent en témoigner. Les rencontres ne sont plus les mêmes, les échanges ne sont plus les mêmes, les retours à la maison non plus.