Dans un monde de pub, qui cherche avant tout à susciter de l’émotion, écouter Adèle Haenel doit paraître bien troublant. Au-delà du récit de l’actrice – poignant à tous les niveaux – c’est, dans la forme, l’absence d’émotion qui touche au plus au point. Adèle Haenel, à l’image de la magistrale enquête de Marine Turchi dans Médiapart qui retrace tout ce qu’elle a subi par le réalisateur Christophe Ruggia dans son adolescence, bouleverse par son factuel. De la froideur ? Pas pour les humains qui lisent. Pas de métaphore, pas de grande musique, mais des faits, énumérés les uns après les autres, et qui suffisent à faire vaciller l’âme. Ôtez les habits du cœur, il reste le « pourquoi ? ». La question sans artifice. La plaie sur laquelle, justement, Adèle Haenel, de toute sa force, veut appuyer : la dimension collective du problème. Le tabou des rapports de force qui bâillonnent et rendent caduques toutes les petites enquêtes internes, les regards détournés qui blessent, les excuses que l’on trouve toujours. Car on en trouve toujours : huit mois après le (petit) #Metoo dans la pub, où en est-on ? Trois dirigeants sur quatre cités nommément dans les articles du Monde, toujours en poste, dont deux rachetés et plus valorisés qu’avant. Et une agence qui patauge depuis plus d’un mois. Et combien d’autres ? Et combien de boules au ventre encore chez les victimes ? La question du harcèlement des femmes est collective, point barre. Le monde de la pub (en entier) doit écouter Adèle Haenel et ne pas pleurer.