« Sur quoi la fondera‑t‑il, l’économie du monde qu’il veut gouverner ? (...) Vérité au‑deçà des Pyrénées, erreur au‑delà. » Pascal qui répond à Montaigne, c’était mon sujet au bac français. Évidemment, ça marque. Et merci Monsieur Rambaud (mon professeur qui ressemblait à Jean-Pierre Chevènement et à l’inspecteur Columbo) de m’avoir préparé à cette injustice. Parce qu’Internet n’a rien changé. Encore, aujourd’hui : « On ne voit rien de juste ou d’injuste qui ne change de qualité en changeant de climat, trois degrés d’élévation du pôle renversent toute la jurisprudence. Un méridien décide de la vérité. »
Et mon injustice du moment, mon nouveau combat, ce sont les consortiums. Ces groupements d’acteurs qui naissent sous les quolibets en France là où aux Etats-Unis on les crée pour lancer des champions. C’est le télescopage ces dernières semaines de l’initiative de TF1, France Télévision et M6 pour créer une plateforme sur le web, Salto, et de l’annonce du lancement de la plateforme de streaming de Disney qui m’en a fait prendre conscience. Qualifié de « Netflix à la française », Salto a été accueilli très fraîchement quand au même moment, Disney pris très au sérieux, a fait reculer Netflix. Pourtant…
On oublie la création en 2007 de Hulu, un service de streaming, par un consortium américain regroupant initialement News Corp et NBC Universal, rejoints ensuite par... Disney. Ce afin de pouvoir proposer aux utilisateurs une base de séries et films aussi attractive que possible. Disney a finalement pris le contrôle de l’entreprise cette année ; la dernière valorisation monte à 15 milliards de dollars. Fin 2018, le service a atteint 25 millions d’abonnés et 1,5 milliard de dollars de revenus publicitaires, ces deux métriques progressant de 50%. Mais surtout, cette présence au capital de Hulu a permis à Disney de mieux comprendre les enjeux et modèles du streaming, et a certainement influencé le lancement prévu fin 2019 de l’offre complémentaire Disney+, qui sera centrée sur les grandes franchises de la maison mère de Mickey (dessins animés, Marvel, Star Wars…). De même, la création, relativement similaire, de Vevo en 2009 : une chaîne accessible entre autres sur YouTube et Apple TV centralisant les clips des majors de la musique qui en sont à l’origine – Sony, Universal, Warner. Cette mise en commun crée une destination premium qui maximise les revenus publicitaires… et permet de bénéficier d’un plus grand levier dans le partage du gâteau avec Google – qui est également présent au capital. Dix ans après son lancement, Vevo comptabilise en moyenne plus de 800 millions de vidéos vues quotidiennement.
Les Gafa, forces de l’Alliance
On le sait ou dit trop peu, mais on trouve aux fondements de l’économie numérique autant de coopération que de compétition. S’il est aisé d’opposer les licornes les unes aux autres façon « choc des titans » – et il est vrai que les terrains d’affrontement ne manquent pas – ou aux incumbents (acteurs historiques) de l’ancien monde, il serait imprudent d’oublier que leur puissance repose également sur les alliances qu’elles sont capables de nouer quand elles en ont besoin. Et ce sont bien nos « usual suspects » Google, Apple, Facebook et Amazon qui les pratiquent le mieux et le plus souvent : Alphabet et Novartis dans la santé, Apple et IBM pour les applications professionnelles, Amazon, JPMorgan et Berkshire Hathaway pour la protection sociale de leurs salariés, ou la récente cryptomonnaie, Libra, lancée par Facebook depuis une association qui réunit le gratin mondial de la nouvelle économie comme dans un club…
On ne peut que se réjouir de voir émerger un Next40 et un FrenchTech120, la liste des start-up françaises les plus prometteuses annoncées par Emmanuel Macron fin septembre et souscrire à l’ambition d’avoir 25 licornes d’ici 5 ans dans notre pays. Cette initiative favorisera l’émergence de nouveaux champions mais permettra aussi de structurer notre écosystème et la chaîne du financement en France. Mais le même effort doit être porté à favoriser la création de consortiums – qui peuvent parfaitement intégrer ces licornes – et au soutien le plus large des initiatives collectives. Et pour le coup, il n’y a pas à choisir, laissons le dilemme à Corneille et restons avec Pascal pour ce pari : il y a bien plus à gagner qu’à perdre à innover ensemble. Militons pour une renaissance des consortiums, ces groupements d’entreprises réunies autour d’un projet spécifique commun, ils n’ont rien perdu de leur pertinence à l’heure de la révolution numérique.