D’habitude quand elle a quelque chose à dire, elle le dit discrètement, en secret. Mais dans la nuit du 15 au 16 avril, Notre-Dame a plutôt choisi les grands médias. Son message tenait en quatre mots : « huit heures, huit siècles ». Décodage : huit heures suffisent à réduire en cendres une forêt de chênes de huit siècles ! « Avant on s’interrogeait sur les conditions industrielles de notre existence, désormais on s’interroge sur les conditions de notre existence tout court. » Bruno Latour n’a cessé de crier au feu et on sait maintenant de façon certaine que si on ne change pas, le message de Notre-Dame deviendra apocalypse.
Curieusement, quatre jours avant cette catastrophe, la loi Pacte modifiait en deux phrases une définition de l’entreprise, inchangée depuis plus de deux siècles : « La société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité » et « Les statuts peuvent préciser une raison d'être, constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité ».
Appelant avec Gilles Deléris, il y a dix ans dans Ecce Logo, à un G20 des marques, nous étions quelques-uns à penser que les problèmes du monde dépassant la souveraineté des États, les grandes entreprises seraient, tôt ou tard, mises à contribution. Quand il y a d’un côté des États fragilisés par un surendettement chronique avec une société récalcitrante aux efforts de long terme, et de l’autre des entreprises dont les premières capitalisations boursières rivalisent avec les plus gros PIB de la planète, la reconnaissance légale du rôle sociétal de l’entreprise est une chance pour tous.
Les salariés n’ont jamais autant exigé de leur employeur une vision porteuse de sens. Les clients, devenant de plus en plus conso-citoyens, réclament du vrai, du bon, du proche et censurent d’un clic les comportements non-sociétaux des marques. Les investisseurs enfin, intègrent désormais les critères ESG (environnement, social, gouvernance) dans leurs décisions d’investissements et peuvent ainsi peser sur les stratégies.
Les dirigeants s’engagent. Parmi eux, Jean-Dominique Senard, co-auteur du rapport préparatoire à la loi prévient : « Seules les entreprises qui auront à cœur de contribuer à réparer les fractures de notre société bénéficieront d’une croissance durable », et Pascal Demurger, directeur général de la Maif, détaillant la transformation opérée par la mutuelle, titre son récent ouvrage : « L’entreprise du 21ème siècle sera politique ou ne sera plus ».
L’intérêt général est un métier
Si l’entrée en jeu de l’entreprise dans le champ de la vie de la cité est une bonne nouvelle, elle devra aussi être accompagnée de quelques garde-fous. Ainsi, est-il vraiment souhaitable que, sous couvert de quête de sens et de bonnes intentions, l’entreprise en vienne à préempter des pans entiers de l’intérêt général ? Certes, l’efficacité du privé peut faire des merveilles, mais ce qui se passe aux États-Unis comme en Asie doit nous inciter à la vigilance pour que l’élargissement des missions de l’entreprise n’entraînent pas la marchandisation de tous les espaces. Il faudra constamment s’assurer que les « raisons d’être » ne fassent jamais sortir l’entreprise de son objet social, de sa légitimité et encore moins de son champ de compétences.
Revenons pour conclure à Notre-Dame et à la question que tout le monde se pose : la flèche, à l’identique ou pas ? Cette flèche fait figure de symbole d’un monde à reconstruire. Si la reconstruction est laissée aux États, le risque est grand que ce soit à l’identique. Ce sera alors la fin de l’histoire. En revanche, si l’entreprise s’investit dans le champ sociétal de façon responsable, il y a une chance qu’en apportant son expérience de la transformation, elle parvienne à circonscrire les incendies qui menacent. Il sera alors temps en 2040 d’aller dire à la « Bonne Mère » de Paris : Message reçu !