Chronique

Nous nous sommes quittés le mois dernier sur mon rêve d’un festival de Cannes de la tech ou d’un VivaTech à Cannes. Les Lions, festival international de la créativité, se sont tenus la semaine dernière à Cannes précisément. Les Lions ont souvent récompensé des campagnes qui semblaient avoir comme premier objectif de gagner un Lion. La créativité pour la créativité. Comme des campagnes artificielles. Mais qu’est-ce qui se passerait si une intelligence artificielle, justement, décidait de concourir ? Quelles seraient ses chances ? Un algorithme qui s’inscrirait automatiquement et proposerait un film « deepfake » comme ceux où l’on fait dire n’importe quoi de façon vraisemblable à qui on veut ?

Saisissons cette occasion de faire un point sur le match créativité humaine vs intelligence artificielle en juin 2019. Et il s’en est passé des choses depuis le deuxième match opposant AlphaGo au grand champion Lee Sedol en 2016. Le 37ème mouvement de l’algorithme maison de Google avait alors été décrit comme un coup de génie par un autre champion de go : « It's not a human move. I've never seen a human play this move. (...) So beautiful, so beautiful ».

Mais c’est quoi la créativité ?

Deux définitions de la créativité peuvent être retenues : l’une centrée sur la démarche (les caractéristiques du processus créatif ou du créateur), l’autre sur la finalité (la création s’oppose alors à l’imitation). Dans le premier cas, les modèles d’IA remplissent certaines des caractéristiques propres au processus créatif, parfois mieux que les humains (ex : la « fluence », cette capacité à imaginer de nombreuses solutions, l’attention aux détails, ou encore l’intensité de l’effort). D’autres sont clairement absentes, telles que la curiosité ou la variété des centres d’intérêt (puisque chaque modèle a un périmètre bien délimité). D’autres caractéristiques encore sont plus ambiguës : l’originalité dépend beaucoup des données d’entraînement, tout comme du but recherché. Dans un exemple spectaculaire et récent, les visages artificiellement générés par Nvidia sans qu’on puisse les distinguer de « photos de véritables personnes » – même technologie utilisée à Washington ces derniers mois pour créer de faux profils et solliciter des hauts fonctionnaires américains sur les réseaux sociaux – sont certes neufs mais leur particularité, c’est d’être crédibles car ils ne dénotent pas… c’est bien l’objectif recherché, être normal, pas original. Quant à l’indépendance, elle est toute relative : le modèle ne souffre certes pas de perturbation extérieure… mais il a bien été créé par quelqu’un.

Dans le cas d’une créativité centrée sur la finalité, on s’engouffre rapidement dans un débat philosophique : à quel point toute création n’est elle-pas imitation ou tout du moins inspiration ? Si l’on pense que la créativité c’est partir d’une feuille blanche, alors aucun modèle d’IA n’en est capable. Mais “Les bons artistes copient, les grands artistes volent” disait Picasso et personne n’invente dans un vide intersidéral, toujours influencé si ce n’est par des créateurs du même domaine, au moins par des créateurs d’autres domaines.

En tout cas, si l’on suppose que la création est toujours sous influence(s), mais qu’elle cherche à sortir de l’imitation, alors nous devrions travailler à une définition statistique de la créativité : seraient créatifs les quelques écarts-types qui font sortir une oeuvre de la norme. Et alors, si les robots et les algorithmes ne sont pas prêts de concourir aux Lions, on serait bien inspiré de leur confier les jurys !

Là où est l’AI, rien de nouveau ?

Il faut pour finir s’attarder sur cette évidence de taille, souvent rappelée dans le débat sur la créativité de l’IA : la main de l’homme n’est jamais loin et les algorithmes ne naissent pas de génération spontanée. Tous les projets d’IA sont des collaborations entre l’homme et la machine – ou plus exactement, SA machine : jeu de société, musique, peinture, cinéma...

À se focaliser sur la créativité de l’IA en passant bien vite sur la créativité humaine, on ne fait jamais que parler de nous-mêmes.

Laissons au collectif d’artistes français Obvious, qui a créé par la technique des Generative Adversarial Networks une série de tableaux inspirés du 18ème siècle (dont l’un a été vendu aux enchères chez Christie’s pour environ 10 000 dollars), le soin de conclure avec ces deux citations limpides :

« L'IA est un nouvel outil qui permet d’amplifier le potentiel créatif des humains. Néanmoins, pour la première fois, les humains ont aussi la possibilité de maximiser le potentiel créatif de leur outil. »

« Si vous me demandez aujourd’hui : l'IA sera-t-elle l’artiste de demain ? Je serais tenté de répondre : l’appareil photo est-il l'artiste d'aujourd'hui ? »

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