[Chronique] Court et impactant, le « Travailler plus pour gagner plus » de Sarkozy aurait pu remporter la palme du slogan politique. Quinze ans après, un candidat pourrait-il en refaire son étendard ?
Sur un strict plan de communication, et sans aucun jugement politique, c’était le slogan idéal. Court et impactant, simple et mémorisable, le « Travailler plus pour gagner plus » de Sarkozy 2007 aurait pu remporter la palme du slogan politique. Il a en tout cas largement contribué au succès électoral en déplaçant vers le candidat de l’époque des suffrages issus de l’électorat populaire tentés par le FN ou acquis à la gauche. Tous les ouvriers n’avaient bien sûr pas voté Sarkozy mais après les 35 heures et l’impact neutralisant sur les salaires qui s’en étaient suivi, le fait de pouvoir travailler plus apparaissait comme une attente profonde d’une partie du salariat. Après la « punchline » (terme qui n’existait pas à l’époque), la loi votée rapidement exonérait et défiscalisait la suppression totale des charges salariales sur les heures supplémentaires. Un slogan réussi, victorieux, et en grande partie suivi d’effet, au moins au début du quinquennat, la com politique avait trouvé son « best case ».
Quinze ans après : un candidat pourrait-il en refaire son étendard ? Assurément non, tant la phrase semble aujourd’hui anachronique. Pour plusieurs raisons. D’abord on le sait, le rapport au travail a changé. Sous l’effet de la crise covid et des confinements, les nouveaux essentiels, santé, famille, cocon, ont déboulonné la valeur travail de son piédestal. C’est notamment le cas chez les jeunes générations, ou la question du « sens » prédomine désormais. Si à tous les âges le travail reste une valeur à laquelle on est attaché, on voit dans les études son primat remis en cause dans sa hiérarchie personnelle. « On ne peut pas vivre sans travail, mais le travail ce n’est pas toute la vie », entend-t-on aujourd’hui plus souvent qu’hier. Interrogation souvent relayée dans les conversations familiales : votre génération a beaucoup travaillé, assène-t-on aux boomers, mais pour quel résultat ? La planète va-t-elle mieux ? La dette est-elle sous contrôle ? La société est-elle plus juste ?
La recherche d’épanouissement s’est déplacée du travailler plus au travailler mieux. Pouvoir choisir son travail, son mode de travail entre télétravail et présentiel, son employeur, et si possible son patron … Mais ne nous trompons pas : c’est là où la fracture est immense entre ceux qui par leurs diplômes, leurs qualifications, leur capital socio-culturel, et dans un contexte aujourd’hui favorable, peuvent choisir et ceux qui n’ont d’autre choix que de subir. On comprend également pourquoi cette évolution de la société rend encore plus difficile la réforme des retraites au moment où 7 Français sur 10 estiment qu’on travaille déjà assez longtemps. La mise à distance du « travailler plus » entraine également le recul du « travailler plus longtemps ».
Travailler plus pour quoi faire ? Pour gagner plus ? La deuxième partie de l’équation a aussi pris du plomb dans l’aile. Avant même la crise inflationniste que nous connaissons, la question salariale était déjà centrale dans les revendications des Gilets jaunes, dans les milieux populaires et les classes moyennes, au cœur de ceux qui deux ans plus tard allaient devenir les métiers essentiels. La difficulté à faire progresser un partage équilibré de la valeur face à la financiarisation de l’économie impacte chaque jour le pouvoir d’achat, consolide la crainte du déclassement et remet en cause pour ses enfants la promesse de l’ascenseur social. Mais au-delà, le « gagner plus » n’apparait pas comme une ambition dans une société inquiète de tant de fléaux sanitaires, environnementaux ou sécuritaires menaçants pour notre quotidien, ni dans une société qui progressivement essaie de modérer sa consommation.
C’est pour toutes ces raisons que le slogan de 2007 a pris comme une ride. Personne ne sait si dans quinze ans, il refera surface, entourné d’un halo vintage qui le rendrait à nouveau attractif. Mais dans la France de 2022, et même si certains peuvent le regretter, il a bien des aspects d’un contre-sens sociétal. Les bons slogans meurent aussi.