Depuis Jacques Séguela, les communicants politiques français n’ont eu de cesse d’aller d’errances en erreurs, arrogants à juger un pays, les États-Unis, mal connu. Alors que Donald Trump vient d'être élu 47ème président des États-Unis, il est temps de perdre nos illusions.
Il n’y a pas eu photo. Même pas l’ombre d’un doute. Et seuls les journalistes français descendus par cars entiers aux États-Unis ont fait croire à l’opinion publique française que Kamala Harris pouvait gagner ces élections. Privilégiant une fois de plus le sensationnalisme à l’information. Les correspondants permanents eux le savaient bien. Mais de là à ce que l’opinion publique française ne les écoute.
De fait pas étonnant qu’ici vu de Washington et de New York, et d’est en ouest, le pays soit calme. Non pas résigné, non plus que fataliste, non ! Seulement heureux, satisfait de l’issue de ce vote historique. Et contrairement à ce que dit un ex-ministre non autorisé ce ne sont pas quelques milliers de voix mais plus de 5 millions qui ont fait la différence.
Une fois de plus on se trouve devant un problème de communication. Très français. Dans Stratégies, le 5 novembre un de ces « spécialistes » n’avait-il pas prédit péremptoire « Kamala Harris émergera victorieuse de cette élection, devenant ainsi la première femme présidente des États-Unis. Cinq facteurs clés soutiennent cette prédiction. » Chacun peut à la lecture de cette Tribune déconstruire ses arguments qui ne sont que des projections autoprédictives et qui n’ont aucune légitimité « à faire mentir les biais des sondeurs » qui pour une fois ne s’étaient pas trompés. Sur le fond, cette nouvelle erreur d’approche devrait rendre modestes nos communicants politiques qui depuis Séguela n’ont eu de cesse d’aller d’errances en erreurs. Finissant par décrédibiliser l’ensemble d’une profession. Et par la même occasion la classe politique tout entière.
Ce n’est pas le lieu de dire combien Harris « n’imprimait pas » dans l’opinion américaine, combien elle semblait illégitime à beaucoup d’Américains, non plus que d’expliquer que nombre de démocrates sont devenus républicains à l’aune d’une inflation à 30%, ou encore du fait que des communautés que certains disaient acquises à Harris votent désormais en grand nombre pour Trump : à commencer par les jeunes (+ 6 points), les minorités (+ 13 points chez les Hispaniques) et… les femmes (46% quand même).
« Notre arrogance à juger un pays qu’on connaît mal »
On peut par contre s’interroger légitimement sur notre arrogance à juger un pays qu’on connaît mal, et réfléchir sur nos erreurs et nos approximations en matière de communication politique et by the way sur la faiblesse du poids des influenceurs. Nouveaux gourous trop souvent inutiles. Encensés (quand ils ne sont pas surpayés) en France ; on s’en défie à juste titre aux États-Unis. Les 283 millions de followers de Taylor Swift, pas plus que la quasi-totalité des figures d’Hollywood, des médias, du showbiz, des leaders d’opinion n’ont eu de réel impact. Et c’est mal comprendre ce qui meut l’opinion que de s’en remettre à eux et d’ignorer les 4 premiers niveaux de la pyramide de Maslow (survie, sécurité, appartenance, reconnaissance) qui sont les vrais moteurs de l’opinion. Certes il existe des valeurs plus « nobles » (aspirations collectives, justice sociale, inclusivité) qui aboutissent à l’accomplissement de soi mais ceux-ci n’ont d’effets qu’une fois les besoins primaires couverts. Ce qui dans nos sociétés n’est plus le cas.
Les communicants de Trump qui ont tout axé sur l’économique (bien aidé en cela par Elon Musk, ses 130 millions de dollars, et surtout son réseau X) plutôt que sur les « bons sentiments » dont se regorgent les classes privilégiées l’ont bien compris ; ce que refusent obstinément de comprendre les nôtres. Qui préfèrent vendre leurs idéologies et leurs opinions avant de comprendre ceux à qui ils s’adressent. Et comme bien souvent le mieux est l’ennemi du bien.
Nous ne jugerons pas ici Trump et son programme, mais force est de constater que ses communicants sont bien meilleurs que les nôtres. Cela devrait nous rendre modestes et nous inspirer. En commençant par perdre notre suprémacisme culturel et intellectuel qui vu des États-Unis fait bien rire. Bref en commençant par perdre nos illusions.