Le footballeur français a longtemps incarné l'image du «sportif idéal», avant de voir sa cote de popularité chuter de 12 points entre avril et septembre 2024.
En 2019, une intelligence artificielle a analysé plus de 1300 livres appartenant au projet Gutenberg, une collection d’ouvrages numériques libres, et en a extrait six arcs narratifs fondamentaux. L’un d’entre eux tient en deux phases : l’ascension et la chute. Il a été nommé Icare, en référence à la trajectoire du mythe grec antique. Mais il aurait très bien pu s’appeler Kylian Mbappé.
En 2018, la France est championne du monde de football avec, à la pointe de son attaque, un post-adolescent de 19 ans. Hors normes sur le terrain, à tel point que le roi Pelé l’a qualifié « d’héritier », il se révèle tout aussi hors normes en dehors du terrain. Pour la première fois, un footballeur français investissait méthodiquement le champ sociétal au faîte de sa carrière. Une méthode fondée principalement sur l’omniprésence médiatique, l’exigence discursive et la transgression consensuelle au service d’une ambition : aller à la rencontre du peuple pour marquer l’histoire.
Après la mutinerie de Knysna, l’affaire Zahia ou le racket de Valbuena opéré par les proches de Benzema, Kylian Mbappé a incarné une rupture en proposant aux Français, le type du footballeur idéal. Un sportif à imiter, producteur d’un discours fluide et conscient. Un de ses faits d’armes étant le boycott d’une séance photo organisée par la FFF et des sponsors associés aux paris sportifs et à la malbouffe. Un geste symbolique au message explicite : les idéaux et les valeurs transcendent le marketing et l’argent.
Malheureusement pour lui, sa conscience de la portée symbolique de sa communication s’est émoussée. Sur son Aventin, l’attaquant madrilène a oublié que sa popularité n’était pas suffisamment enracinée pour être inconditionnelle. Sinon, le tweet en hommage à Nahel, tout comme ses appels au barrage lors des législatives, ses réactions suite aux critiques qu’il commençait à subir, le refus de la sélection et son escapade en Suède ne se seraient pas produits.
Un sondage récent mené par l’institut Odoxa vient d’ailleurs de consacrer sa chute dans l’opinion : entre avril et septembre de cette année, la popularité de l’ancien Parisien a chuté de 12 points.
Vivre par la séduction de l’opinion et périr par sa déception
Ironie du sort, sa trajectoire épouse celle de tous les présidents de la cinquième République depuis Jacques Chirac. Ceux qui, à l’ère de la communication d’influence, ont vécu par la séduction de l’opinion et ont péri par sa déception. À commencer par Nicolas Sarkozy, celui avec lequel Kylian Mbappé présente le plus de points communs.
L’ancien président est le premier à avoir méthodiquement pensé tous les aspects de sa communication. Avec un modus operandi fondé également sur l’omniprésence médiatique, l’adaptabilité discursive et la transgression consensuelle au service d’une ambition. En pleine explosion de la délinquance, il a incarné la rupture en important un lexique transgressif - car inédit - attendu de la majorité des électeurs. Pour parler à la France « qui se lève tôt », lui, l’avocat, a multiplié les télescopages syntaxiques (« On se demande c’est à quoi ça leur a servi ? » face à des ouvriers dans le Doubs). Avec une dimension symbolique claire : ressembler à l’idéal de son électorat pour le séduire. Dans le cas de Nicolas Sarkozy, il s’agissait d’abaisser le niveau alors que dans celui de Kylian Mbappé il fallait le rehausser.
Mais une fois élu, il a également oublié la portée des symboles. Un oubli cristallisé par sa retraite sur le yacht de Vincent Bolloré et son dîner au Fouquet’s. Le décrochage avec l’opinion a été spectaculaire et n’a jamais pu être corrigé.
Contrairement à l’ancien président, Kylian Mbappé dispose d’un avantage. Il n’a pas tant affaire au peuple qu’à la foule. Celle-ci est versatile et attend, de sa part, des émotions. C’est-à-dire des buts
L’un des autres arcs narratifs identifiés par l’IA s’appelle Cendrillon. Il repose sur trois temps : l’ascension - la chute - l’ascension. Souhaitons au capitaine français, qu’il soit, un jour, rebaptisé en son nom.