C’est dans les périodes de crise que les métiers de la communication et des médias gagnent à renforcer leur capital humain. Mais ces spécialistes de l’image ont du mal à redorer la leur, et peinent à attirer les candidats. Une tendance qu’il est urgent de renverser.
À l’écran, la voix est bien celle de Rémy Buisine, le journaliste vedette de Brut. Mais l’image, elle, est celle de son avatar numérique, créé par une intelligence artificielle. Le propos ? Un résumé d’un article de l’AFP, lui-même élaboré par ChatGPT. Il y a déjà un an, Brut, le célèbre média en ligne, commençait à expérimenter l’IA pour proposer de nouvelles façons de raconter l’information. Faut-il y voir les prémices du remplacement des communicants par des robots ? Nous pensons, au contraire, qu’il s’agit d’un des moyens de rendre les métiers des médias et de la communication plus attractifs que jamais.
L’enjeu est de taille, car les talents s’en détournent. En janvier 2023, la première étude sur l’attractivité des métiers de la communication, menée par Com-Ent avec le cabinet Occurrence, attribuait à ceux-ci la note pâlichonne de 6,7 sur 10. Leur faible reconnaissance sociale, ainsi que des rémunérations jugées trop faibles, en sont les causes principales.
Alors, quelles sont les pistes pour les revaloriser et y attirer les meilleurs ? C’est précisément la réflexion que Taste a voulu mener cet automne avec Elsa Darquier Fournier, COO de Brut, Ronan Dubois, DG de 20 Minutes et Rodolphe Muller, cofondateur de l’agence de pub Big Success.
L’IA pour transformer les métiers
Oui, ces métiers se transforment. Avec l’IA, journalistes, rédacteurs et graphistes sont nombreux à craindre pour leur job. Il appartient donc aux entreprises de faire preuve de pédagogie sur ces sujets. À elle de montrer que l’IA aide, avant tout, à gagner du temps en se délestant des tâches d’exécution chronophages, ou à faible valeur ajoutée, pour mieux se consacrer à la création. Chez Brut, elle va, par exemple, servir à automatiser les traductions, la vérification, de l’orthographe et le reposting. Aidant ainsi les community managers à se concentrer sur ce qui compte le plus : l’animation de leurs communautés. Ronan Dubois, de 20 Minutes, en est persuadé : l’IA s’avère un formidable moyen de monter plus vite en compétences.
Afin d’en convaincre salariés et candidats, le mieux est encore de laisser place à l’expérimentation, d’inviter les équipes à s’approprier l’outil de façon ludique pour voir comment il peut les servir. Brut privilégie le test and learn, ce qui suppose de laisser aux testeurs la possibilité de se tromper, quitte à recueillir parfois des posts à… 12 likes ! De son côté, Big Success organise un concours hebdomadaire qui, au sein du service création, récompense la plus belle image créée grâce à une IA.
Mettre le talent au service du sens
Disposer des bons outils, d’accord, mais à condition de les utiliser pour une mission qui a du sens. Les candidats (mais aussi, de plus en plus, les clients) attendent des entreprises du secteur les preuves de leurs engagements sociaux et environnementaux. Ils veulent que leur talent ait de l’impact. Aucune ne peut plus se dispenser d’une réflexion sur ces questions.
Brut, qui se veut le média d’une génération engagée, a obtenu sa certification B Corp. Il s’est doté d’une commission ad hoc se réunissant une fois par mois pour faire progresser les pratiques de l’entreprise : limitation des voyages en avion, réduction du nombre d’imprimantes, utilisation de batteries rechargeables... Permettre aux collaborateurs d’émettre des propositions est fondamental. C’est l’occasion pour eux d’écrire le récit commun. Une stratégie RSE bien menée renforce ainsi le sentiment d’appartenance, l’attractivité, et soude les différents métiers en interne.
Associer les salariés au succès de l’entreprise
Bien sûr, cela ne dispense pas de réfléchir à la rémunération et à l’organisation du travail. Si la partie fixe du salaire s’avère souvent contrainte, il n’est pas interdit d’innover en termes de partage de la valeur : primes de résultats, intéressement, participation, distribution d’actions aux salariés clés… La loi sur ce sujet, qui doit entrer en vigueur en janvier 2025, est l’occasion pour les entreprises du secteur d’adopter plus de transparence, tout en leur permettant d’associer les collaborateurs à la recherche de nouveaux business models. C’est aussi le moyen de diffuser une culture de l’indépendance, et de la responsabilité de chacun dans la recherche du succès. Bien sûr, cela doit s’accompagner de mesures visant à équilibrer vie personnelle et professionnelle (dont le télétravail fait partie) et à accompagner le développement des collaborateurs. Chez 20 minutes, les trajectoires de carrière sont personnalisées et font la part belle à la formation.
Reste à faire connaître toutes ces initiatives. Personal branding et employee advocacy sur les réseaux sociaux servent à donner à voir qui on est, quels budgets on gagne… Et comment on célèbre le succès. Une discipline adoptée par Rodolphe Muller (Big Success), qui consacre une heure par jour à LinkedIn. Ses équipes travaillent aussi l’image de l’agence sur sa chaîne TikTok. Elles ont carte blanche pour publier, en respectant la ligne éditoriale qu’elles ont elles-mêmes définie. Une habitude à prendre d’autant plus importante qu’elle amorce un cercle vertueux. Valoriser le talent est, en effet, la meilleure façon d’attirer à soi des clients sensibles, eux-aussi, à ce sujet. Ce qui, pour un candidat, représente peut-être la meilleure des raisons de rejoindre une entreprise – et de lui rester fidèle.