Il serait tentant de faire travailler ensemble la RSE et la marque employeur en harmonisant les messages. Mais ce serait un mauvais calcul, la guerre de l’attractivité se gagnant en plusieurs batailles.
Ces dernières années, les grandes entreprises ont résolument pris le virage d’un capitalisme responsable. Elles n’avaient pas d’autres choix que de se mettre au diapason de l’époque : le dogme qui donnait comme unique raison d’être des entreprises la production de valeur pour ses actionnaires n’était tout simplement plus acceptable par la société. Et en premier lieu par des salariés de plus en plus éprouvés psychologiquement par les mutations du travail.
Quelle que soit la génération, les salariés ont désormais besoin de trouver un sens à leur travail, voire de repenser sa place dans leur vie. Cette nouvelle exigence de sens n’est pas anecdotique. Elle a pris de telles proportions qu’elle déstabilise le marché du travail même. Les entreprises se retrouvent confrontées à des phénomènes généralisés de retrait au travail et d’instabilité professionnelle qui impactent directement leurs performances. Et ce n’est pas qu’un problème de ressources humaines : ces salariés sont aussi des clients, des ambassadeurs de la marque, des actionnaires aussi parfois, et leur conscience sociale et environnementale guide désormais leurs choix au-delà de la sphère professionnelle.
Avec un bel ensemble, les grandes entreprises ont donc massivement adopté une stratégie de communication principalement tournée vers leurs engagement sociétaux et environnementaux, répondant qui plus est aux attentes de toutes leurs parties prenantes d’un seul coup : les actionnaires, les clients, le grand public et même les collaborateurs et les candidats, ses cibles de marque employeur.
La marque employeur menacée
La marque employeur, c’est la réputation d’une entreprise auprès de ses candidats et de ses collaborateurs, laquelle conditionne sa capacité à attirer et à retenir les talents. Mais si la RSE peut à elle seule assurer l’attractivité d’une entreprise, la question du maintien d’une politique de marque employeur dédiée peut se poser. Après tout, la RSE bénéficie du soutien actif des dirigeants, les arguments et les outils sont prêts à l’emploi et la direction de la communication s’est déjà approprié le sujet.
Le slogan de marque employeur pourrait même être remplacé par la raison d’être, la nouvelle figure de proue de la communication des grandes entreprises depuis la loi Pacte. En faisant mieux comprendre en quoi l’entreprise sert la société, la raison d’être répond aussi aux exigences de sens de ses salariés et de ses candidats potentiels.
Nous sommes donc à un tournant dans l’histoire de la marque employeur. Elle est d’autant plus menacée qu’elle sera peu défendue. Il s’agit d’un domaine relativement nouveau, qui a bousculé le recrutement et la communication, imposant ses codes et ses ressources, et ouvrant un nouveau champ de bataille, aussi âpre que coûteux, entre les entreprises. En installant un département de communication au sein des DRH, elle a aussi challengé les directions de la communication, les contournant ou captant une partie de leurs ressources pour déployer des stratégies de communication parallèles, par nature décalées par rapport aux axes de communication corporate. Elle a imposé un dialogue permanent et tendu entre les communiquant et les recruteurs, focalisés chacun sur leurs propres objectifs, pas toujours conciliables.
Au sein même des directions des ressources humaines, la marque employeur a siphonné des budgets de recrutement et des ressources toujours plus importantes, pénalisant les investissements de sourcing, sans toujours démontrer son efficacité objective sur les flux de candidatures ou l’engagement des collaborateurs. Toutes les conditions semblent réunies pour lui substituer un discours de responsabilité sociétale consensuel et dans l’air du temps, capitalisant sur les ressources de départements RSE toujours mieux dotés et réinstallant la direction de la communication seule aux commandes de l’image de l’entreprise.
Les limities d’un discours de RSE en marque employeur
Mais en cette période de tension extrême sur le marché du recrutement, peut-on vraiment cesser d’adresser spécifiquement ces publics clés, avec les arguments qui les touchent réellement ? Le critère de la RSE est certes majeur, mais pour choisir un employeur, les candidats considèrent toujours des critères pratiques comme le contenu d’un emploi, le salaire, la localisation, l’ambiance ou la culture managériale avant toute chose. De plus, les employeurs ne peuvent pas vraiment compter sur la thématique unique de la RSE pour se distinguer de leurs concurrents. Les arguments sont les mêmes pour tous et l’on ne peut se distinguer que par la surenchère des engagements, avec le risque de décevoir ou d’être pris en défaut.
Enfin, en s’adressant à des publics davantage préoccupés d’engagement RSE que de tout autre chose, l’on se détournera de tous les autres. L’entreprise, par nature, a besoin de collaborateurs ambitieux, qui veulent développer des compétences, toujours mieux gagner leur vie ou acquérir des responsabilités toujours plus grandes. Bien sûr, c’est un discours peu populaire en ces temps vertueux, mais la survie d’une entreprise - et sa capacité à contribuer sociétalement d’ailleurs - dépend avant tout de sa rentabilité et de sa pérennité. Il reste indispensable de se donner les moyens de capter les compétences qui servent ses ambitions de réussite et de conquêtes, et pas uniquement les meilleures consciences.
Chacun son combat
A ce moment charnière de l’histoire de la marque employeur, il est essentiel, non seulement de préserver la marque employeur en tant que discipline spécifique au côté de la RSE, mais aussi et surtout de préserver son intégrité. Car il serait tentant de faire travailler ensemble la RSE et la marque employeur, en joignant leur force et en harmonisant leurs messages. Ce serait pourtant un mauvais calcul. La guerre de l’attractivité se gagne en plusieurs batailles. La RSE et la marque employeur sont des arguments qui se défendent sur leur terrain propre et avec leurs ressources dédiées. C’est à cette condition qu’ils développent leur maximum d’impact. Les candidats potentiels ne manqueront pas de s’intéresser à tous les aspects de l’entreprise qu’ils envisagent de rejoindre en allant puiser ces informations à leurs sources respectives, au moment le plus opportun de leur cheminement de candidature.
D’ailleurs, sur le simple plan de la stratégie de communication, vouloir tout dire dans le même message, sans distinguer les canaux et les étapes dans une expérience candidat, c’est risquer de brouiller son image et d’atténuer l’impact de ses arguments.
La marque employeur nous a beaucoup apporté, mais son bénéfice principal a été de nous faire réfléchir à une stratégie adaptée pour adresser spécifiquement nos cibles RH, candidats ou collaborateurs, avec des objectifs concrets en ligne de mire. Car la marque employeur, ce n’est pas que de la communication, avec ses enjeux d’image, c’est aussi et surtout du marketing, avec des prospects à convertir en candidats, sur un marché de l’attention toujours plus concurrentiel. Dans un contexte de guerre des talents ouverte entre employeurs, préserver sa politique de marque employeur, au côté d’une communication RSE dédiée, c’est se donner les meilleures chances de relever les défis posés par la pénurie de compétences et la crise de l’engagement.