Les Français reprochent souvent à l'information d'être pléthorique, anxiogène et biaisée. Pour autant, ils entretiennent des relations schizophrènes avec leur propre jugement.
S’informer, désormais, c’est être connecté : telle est la conséquence du leadership pris par internet, médium des médias. La connexion, comme processus informationnel, ne signifie pas seulement le glissement d’une surface de lecture à une autre, elle s’inscrit dans un nouveau mode de production et de consommation de l’information. Que le web et les réseaux sociaux soient adossés aux médias «traditionnels», qui conservent une forte valeur référentielle dans l’opinion publique, ne change rien à cette évolution.
Cette obédience technologique, dans laquelle chaque récepteur est devenu un média potentiel, a favorisé le développement d’un rapport pathologique à l’information. Volontiers pulsionnelle, étant sans cesse activable, produisant du «nouveau» en permanence, la connexion exprime souvent moins une aspiration à la connaissance qu’une volonté vague de faire advenir quelque chose, dans un monde où le réel nous semble manquer de consistance et n’aller jamais assez vite.
Une information pléthorique, anxiogène et biaisée
Les Français adressent globalement trois critiques à la société de l’information, mais ils entretiennent des relations schizophrènes avec leur propre jugement. Ils déplorent qu’elle soit pléthorique – plus d’un Français sur deux dit souffrir de fatigue informationnelle – mais ils ont développé une relation addictive avec leurs connexions, entretenant eux-mêmes le phénomène.
Ils la jugent anxiogène – mais l’on sait que c’est la «bad news» qui fait le «good buzz»… Ils la jugent volontiers biaisée et s’inquiètent de sa fiabilité, alors même que la perméabilité à des thèses farfelues est de plus en plus élevée dans l’opinion. La vérité perd en séduction face au sensationnel ou au vraisemblable dès lors qu’il accrédite nos préjugés. Addiction/défiance, répulsion/attraction, voilà où nous en sommes.
Cette schizophrénie protéiforme se retrouve aussi à travers la confusion permanente, dans nos flux d’informations, du futile et du sérieux, du tragique et du «fun». Même la météo, moment jadis récréatif du journal télévisé, est devenue le théâtre de notre angoisse climatique : on ne nous dit plus s’il va faire beau ou pleuvoir, on nous dit s’il va faire encore plus chaud ou encore plus froid. L’échelle de la peur, comme échelle de Richter de nos séismes existentiels !
Cette mise sous tension permanente et cette course à l’attention continue, corrélées aux sujets de société qui traversent notre quotidien, inclinent à exacerber la dimension anxiogène du devenir du monde. Elles favorisent l’expression de radicalités sous toutes leurs formes. Des phénomènes comme l’éco-anxiété sont le produit de cette société qui hystérise l’information, indépendamment de sa gravité objective. Il nous revient, collectivement, de civiliser une révolution technologique qui impacte en profondeur les processus d’acquisition des connaissances, la construction de nos facultés de juger, notre appréhension du réel, du temps, des altérités sociales.
Sur-information et sous-information
Ces nouvelles pratiques informationnelles ont aussi un effet notable sur la nature des connaissances acquises par les Français, concernant les enjeux culturels, sociétaux, socio-économiques qui traversent le débat public et la vie de la Cité. D’un côté, les Français sont surinformés, car on leur sert, comme jamais, une foultitude d’informations parasites, accessoires ou sensationnelles, qui tiennent souvent du voyeurisme insipide ou de la news tapageuse, et qui peuvent biaiser l’appréhension d’un sujet ou faire diversion sur l’essentiel : des petites phrases auxquelles feront échos d’autres petites phrases…
D’un autre côté, et comme en miroir, nous voyons des Français sous-informés ou désinformés, qui ont peu de connaissances sur le fond des sujets, certes complexes, qui les concernent : que l’on parle réforme des retraites, avenir énergétique ou innovation agricole. Or, ces sujets engagent la pratique citoyenne la plus élémentaire et la plus essentielle.
Cette sous-information, alors même que nous n’avons jamais eu autant de temps et de moyens pour nous informer mais aussi de débats à trancher, ne tient pas au fait que l’offre ferait défaut mais bel et bien au fait que l’information «continue-connectée» est plus addictive et stérile. Se connecter deux fois 25 minutes pour s’informer, ce n’est pas la même chose que picorer 25 fois deux minutes les news ou les images qui font le buzz…