[Tribune] Parce qu'elles ne créent que ce qu'on leur demande et qu'elles sont dépourvues de poésie, les intelligences artificielles génératives ne sont pas près de nous remplacer.

Qui travaille dans l'industrie numérique depuis quelques années aura remarqué cette tendance de fond : tout change, vite et parfois grandement. L'IA accessible à toutes et tous est sans aucun doute une révolution. Toutefois, les prédicats de la révolution copernicienne de l’IA dans nos métiers ne résistent que mollement à une bête épreuve du réel. On va le voir, on a tous des marteaux et des burins depuis des siècles, ça ne fait pas de nous des Michel-Ange pour autant.

Tout d’abord, n’oublions pas que notre univers professionnel d’agences digitales n’est que rarement assis au bord de la route à regarder passer le cortège des révolutions. Nous sommes bien souvent la tête par la fenêtre à sentir le vent du changement. Ce n’est pas le cas de tous les métiers de la communication, ce qui explique certainement certains articles ou tribunes les yeux dans les phares.

On se souvient d'une discussion franche mais cordiale avec un publicitaire ayant eu ses heures de gloire dans la coupure pub d'avant le JT. Le digitaleux qui témoigne ici s'était alors permis de remettre en cause une capacité à s'adapter et embrasser le changement du monde de la publicité. Alors qu'il avait commencé sa carrière en faisant de la télé, de la radio et de la presse, le publicitaire voyant au loin la dernière station avant l'autoroute faisant encore de la télé, de la radio et de la presse. Alors que le digitaleux, lui, avait commencé en codant dans un bloc-notes, surfant sans images, cherchant dans AltaVista, et qu’aujourd'hui, il générait des images avec des prompts, laissait les sites se personnaliser comme des grands au fil de la navigation pour enfin demander à un assistant virtuel de lui conseiller une destination de vacances parfaitement adaptée à sa dernière playlist Spotify (oui, je force le trait mais vous avez l'idée).

Transition

Tout comme l'avait dit un professeur de géographie, tous les climats sont des climats de transition, toute situation dans le digital n'est que transitoire entre un état passé et un état futur, en gestation déjà, arrivant à plus ou moins court terme. On le sait tous, on l'embrasse avec plus ou moins de souplesse, voire, on est même aussi ici un peu pour ça.

Et puis un jour, bim, ChatGPT, Midjourney et Dall-E. La révolution. Tous mencheviks, ça va dépoter, rangez-moi ce RGPD, ces datas first party, ces clouds privés. Fini de rire. Le voilà le grand Henry Ford du digital, qui va mettre tout le monde dehors. Vous étiez des data-scientists chassés à grands coups de golden hello ? Vous êtes les luddites du data-warehouse, copper farewell offert par la maison.

Oui, mais non. Si vous avez testé ou même si vous exploitez ces outils au quotidien, vous aurez rapidement remarqué qu'ils ne vous ont jamais, jamais, appelé un beau matin pour vous demander quelque chose. Quoi que ce soit. Ils n'ont jamais pris la parole avec une idée. Ils n'ont jamais fait un mail en disant : «c'est p'têt un peu idiot mais j'ai pensé à un truc». Ça vous semble trivial mais il y a là beaucoup.

Exprimer son besoin correctement

Oui, les IA ne vont pas nous remplacer parce qu'il faut que nos clients soient en mesure d'exprimer leur besoin correctement. Oui, oui, on rigole. Mais, encore plus simplement, il faut déjà savoir quoi demander à ces intelligences artificielles. On parle beaucoup de la base de connaissances, des contenus utilisés pour nourrir ces programmes. On ne parle peut-être pas assez de ce que l'on demande, à ces IA.

Deux exemples pour illustrer. Si vous êtes encore sur Twitter (on l'est tous mais on n'ose pas le dire), vous êtes familiers de ces threads à propos de plugins ChatGPT qui vont révolutionner votre entreprise, vous permettre de lancer votre start-up, qui vont monter votre business à votre place. Sauf que, oui, mais quel business ? Tout le monde veut être son propre patron, tout le monde veut lancer sa start-up. Mais pour faire quoi ? Manque bien ici, toujours, l'idée de départ.

Autre exemple. Enthousiaste comme avec sa première console de jeux vidéo un petit matin de Noël, le digitaleux a présenté à ses géniteurs Midjourney en leur disant que, quand même, vous vous rendez compte, on peut maintenant illustrer ce que l'on a dans la tête. On peut faire une image de ce que l'on pense. Regardez, «le fils de Taylor Swift et Zeus», «Cthulhu à vélo dans un petit matin blême», tout ça et plus encore. Alors, allez-y, à vous ! Vous voulez créer quelle image ?

Brins de muguet

Après un silence assourdissant, la réponse fut édifiante : «Macron». Mais non. Vous avez déjà des photos de Macron partout. Demandez Macron en doudoune, Macron qui fait revenir Pikachu à la poêle. Ah, ok. «Macron qui parle» ? Midjourney n'aura pas surchauffé, faute d'idées à se mettre sous le CPU.

Tant que l'on saura faire quelque chose à partir de trois fois rien, tant que l’on saura voir des brins de muguet dans l’alignement de lampadaires dans le film de Jacques Tati, Playtime, on devrait encore avoir à faire deux ou trois trucs. Comme disait l'autre, je cite de mémoire : «Promptez mes idées, j'en aurai d'autres.»

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