Numérique

Nicolas Vanbremeersch, fondateur de l'agence Spintank et président du think tank Renaissance Numérique, revient sur l'épidémie de licornes françaises (entreprises valorisées plus d'un milliard de dollars) et l'envolée des levées de fonds.

 

Au 10 janvier, nous comptions déjà trois licornes de plus en France. L’objectif fixé pour 2025 est déjà atteint. Comment expliquer cet engouement ?

Ce phénomène n’est pas franco-français. On assiste à un boom mondial du venture capital, c’est-à-dire de l’argent qui passe de la Bourse au private equity. Et dans le private equity, il est investi particulièrement dans la tech. C’est une conséquence des taux d’intérêt structurellement bas depuis longtemps. Donc les rendements du capital sont faibles, et les fonds déploient une logique de gestion plus sensible au risque. Ils se diversifient et cherchent à investir là où ils peuvent gagner davantage d’argent rapidement. La tech est toute trouvée, car le secteur s’est accéléré depuis la crise du covid. Résultat, on assiste à une désaffection des investissements massifs où l’économie est peu favorable, et à une concentration des investissements vers des acteurs qui peuvent proposer plus de rendement. On le mesure avec Tesla, considéré comme un acteur de la tech, et dont la valorisation dépasse la somme des dix plus grosses entreprises cotées de l’automobile.

C’est donc un phénomène davantage global que le succès de la « start-up nation » ?

Oui et non. Avant, la France était souvent à l’écart de ces mouvements économiques. Elle avait du mal à attirer. Maintenant, elle a pris le train en marche. Ça, c’est nouveau. Nous sommes désormais le sixième pays d’accueil du capital risque. L’état d’esprit a changé. C'est ainsi qu'on a dépassé en 2022 la feuille de route posée par Macron pour 2025.

Cette répartition des investissements est-elle bien saine et égalitaire ? Ne se concentre-t-elle pas que sur certains ?

Vous avez raison, les levées de fonds sont un indicateur, mais ne doivent pas être le seul objectif. Derrière, il y a toute la question de l’économie numérique. Pour un géant qui émerge, ce peut être énormément de PME qui sont mises sous tension. Et justement, en France, c’est assez sain. Avec du retard, nous avons mis en place un vrai maillage local avec des échanges entre les PME, les grandes entreprises et les jeunes pousses, et réparti les structures sur le territoire. C’est le cas en Allemagne, mais pas du tout au Royaume-Uni : tout est concentré à Londres et dans les fintechs.

Mais ne doit-on pas s’attendre à des effets correctifs ? Les montants ne sont-ils pas trop élevés par rapport à la valeur réelle ?

Aux États-Unis, la valeur totale des deals en private equity a doublé en 2021. C’est évidemment un excès, une hyper-concentration, très liée aux valeurs de la tech (et un peu de la santé). Cela provient largement de l’hyper-inflation de valeur des big tech. Comme Apple, passé de 2000 à 3000 milliards de dollars de valorisation en un an. Pour maintenir cette valorisation, et avec beaucoup de cash, ces leaders tirent tout un écosystème. Apple, Amazon ou Google demandent des entreprises à racheter. Ce qui fait monter les valeurs.Mais cela déconnecte la valeur des entreprises et leur capacité réelle à produire des profits : Apple valait 15 fois ses bénéfices avant la crise, plus de 30 aujourd’hui. La correction aura lieu, forcément, à un moment.

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