CNN International, Euronews, The Economist et France 24 : appréciés du public pour leur rigueur journalistique, ces quatre grands médias internationaux ont chacun des stratégies propres qui font la recette de leur succès. Analyse.
- CNN International, l’influenceuse
C’est la marque d’information la plus consommée au monde. « CNN touche chaque mois plus de 855 millions de personnes en TV et digital, selon Global Web Index », indique Tini Sevak, vice-présidente audiences et data de la régie CNN International Commercial (CNNIC).
« Elle est regardée par les leaders mondiaux de la politique et des affaires, les grands voyageurs, CSP + et acteurs du changement », poursuit Tini Sevak. La chaîne est d’ailleurs réputée pour son influence sur les agendas politiques, un « CNN effect » ayant été théorisé en sciences politiques aux États-Unis. Une influence qui dépasse largement les frontières américaines, comme l’atteste encore récemment l’ouverture de CNN Portugal en novembre 2021, ou le lancement prochain de CNN Business Arabic.
Fun fact, comme nombre d’influenceuses à succès, la trendy CNN possède même une marque de vêtements à son nom : CNN Apparel. La chaîne a confié en 2021 sa licence à une entreprise coréenne, permettant à celle-ci de commercialiser des T-shirts, bobs et sacs avec son logo iconique.
« Notre succès est porté non seulement par la force de notre marque CNN, la qualité de notre produit sur le plan éditorial, que par notre expertise à raconter des histoires de la manière la plus humaine et la plus engageante possible », vante Tini Sevak. Un savoir-faire qui est mis à disposition des annonceurs via le studio de brand content CNN Create, « impliqué dans plus de 60 % de nos campagnes », ajoute Cathy Ibal, senior vice-présidente de CNNIC, qui estime l’augmentation de la hausse des revenus publicitaires de la chaîne de 25 % en 2021, en partie grâce à la conquête de nouveaux clients dans les secteurs de l’informatique, de la finance et des transports.
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- Euronews, la polyglotte
Distribuée dans 400 millions de foyers dans 160 pays, Euronews tire sa force de son ancrage européen. Selon la dernière étude Ipsos Affluent Survey parue en juin, qui mesure chaque année les habitudes de consommation médias des 20 % des plus fortunés, Euronews a même ravi la première place à l’américaine CNN en 2021 sur cinq marchés combinés (France, Allemagne, Italie, Espagne et Royaume-Uni), avec 4,5 millions d’« affluent people » qui l’ont regardée chaque semaine en 2021.
« Ses atouts sont son regard européen, avec des sujets nourris par des journalistes de 30 nationalités différentes, et son modèle multilingue. La chaîne est diffusée en 17 langues locales, ce qui est un élément distinctif sur le marché », commente Guillaume Dubois, qui a pris la direction générale de la chaîne il y a un mois, depuis Lyon où se situe le siège social de la chaîne. « Les études montrent que l’engagement est plus important quand le message est délivré dans la langue des téléspectateurs », souligne, côté régie, Sylvain Roger, vice-président commercial.
Les revenus publicitaires de la chaîne ont d’ailleurs retrouvé leur niveau d’avant-pandémie, selon ce dernier, et ceux du digital ont doublé par rapport à 2019 grâce à la création de verticales sur le site (Green, Travel, My. Europe…). Pour soutenir son évolution, Euronews propose depuis cinq ans aux annonceurs les services de son propre studio de création, Embrace, dont les équipes officient entre Paris et Londres.
Euronews poursuit aussi depuis 2018 son maillage du Vieux Continent avec la création de franchises, principalement dans les Balkans. Elle a ainsi lancé début 2022 deux nouvelles chaînes, en Roumanie et en Bulgarie, qui complètent son réseau de franchises en Albanie, Serbie et Géorgie, et lui ont permis de réaliser des reportages à la frontière entre l’Ukraine et la Roumanie.
Autre fait notable, avant d’être bloquée en Russie en mars, Euronews y était distribuée dans plus de 30 millions de foyers. Une audience russophone qui s’est reportée, via l’utilisation de VPN, sur la chaîne YouTube et la version russe du site d’Euronews. Celle-ci a enregistré 20 % de visiteurs uniques supplémentaires par rapport à la situation d’avant-guerre.
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- The Economist, l’exception
1,2 million d’abonnés dans le monde pour l’hebdomadaire, 2,5 millions pour la chaîne YouTube, 4 millions d’auditeurs mensuels pour les podcasts… Ça marche fort pour The Economist, dont l’audience se situe pour « 55 % en Amérique du Nord, 17 % en Europe continentale, 15 % au Royaume-Uni, 10 % en Asie et 2 % en Amérique latine », détaille la communication du groupe dont le siège social se situe à Londres. Quant à sa régie commerciale, Economist Impact, elle a augmenté ses revenus de 39 % en 2021 pour atteindre des niveaux supérieurs à ceux enregistrés en 2020, juste avant la pandémie.
The Economist ne connaît pas l’échec : depuis plus de dix ans, les journaux français relèvent, à intervalles réguliers, l’étonnante résistance de ce concurrent de portée internationale face à la crise de la presse. Une exception en partie dûe à l’aura élitiste du média libéral d’origine britannique, comme le soulignait en 2012 l’historien Alexander Zevin dans un reportage pour Le Monde Diplomatique.
The Economist a aussi fait des adeptes en ayant su prendre très tôt le virage du numérique. Le média a ainsi proposé ses premiers contenus audio « dès 2006, à l’apogée de l’iPod, relate-t-on à la communication du groupe. Apple chargeait les podcasts de The Economist sur les appareils de démonstration que l’on trouvait dans ses magasins ». Le média produit aujourd’hui de nombreux podcasts quotidiens, hebdomadaires et mensuels (The Intelligence, Babbage, The Economist Asks…) et vient également de mettre à jour son application Espresso, un briefing numérique quotidien qui vise à conquérir un nouveau lectorat.
L’hebdomadaire se lance aussi dans la production de longs métrages documentaires. Son premier documentaire, Fearless : the women fighting Putin, coproduit avec Hardcash Productions pour ITV, a remporté en 2022 le prix Bafta du meilleur film d’actualité.
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- France 24, la connectée
« France 24 demeure très puissante en Afrique subsaharienne, qui représente 40 % des audiences de la chaîne, et au Maghreb. En 2021, la chaîne a surtout progressé en Europe mais aussi en Asie, particulièrement en Inde grâce à sa version anglaise », expose Serge Schick, directeur du développement international de France Médias Monde, le groupe propriétaire de France 24. La chaîne a la particularité de se décliner en quatre versions linguistiques (français, anglais, arabe et espagnol), qui proposent chacune des programmes originaux produits par leur propre rédaction.
Sa couverture des grands événements internationaux, comme la prise de Kaboul par les Talibans à l’été 2021 ou l’invasion de l’Ukraine par la Russie en début d’année, lui vaut une reconnaissance à l’international. « Certains réseaux de distribution en Amérique du Nord, comme Vidéotron, qui proposaient France 24 dans des offres optionnelles, ont même décidé de proposer la chaîne en clair pour l’ensemble de leurs abonnés », salue Serge Schick.
Car la distribution, c’est là l’une des forces majeures de France 24 : 500 millions de foyers reçoivent la chaîne française dans 180 pays. France 24 vise la diversification de ses moyens de diffusion, en s’adaptant aux modes de consommation des zones géographiques : distribution en clair via les antennes paraboliques en Afrique du Nord, distribution par voie filaire, câble ou IPTV en Europe. La chaîne suit aussi de très près le développement de l’OTT (téléviseurs et boîtiers connectés) et est également distribuée en streaming sur YouTube, où elle rivalise avec la britannique BBC, avec 150 millions de vidéos vues par mois.
Côté innovations, la chaîne a « beaucoup travaillé sur la mise en place de solutions techniques pour apporter beaucoup de souplesse et d’agilité dans le déploiement des rédactions locales, que cela soit à Dakar, Nairobi, Bogota et bientôt à Bucarest », précise Serge Schick. Par ailleurs, France 24 teste la transcription et la traduction automatisées des contenus grâce à l’intelligence artificielle. « Nous travaillons activement sur le sous-titrage de contenus vidéo de France 24 en ukrainien, depuis la version anglaise de la chaîne », promet Serge Schick.
Ipsos décortique la consommation média des plus aisés
Chaque année, Ipsos publie l’étude Ipsos Affluent Survey, dont la dernière édition est parue en juin. Pour l’occasion, l’institut d’études examine les habitudes de consommation média des ménages les plus aisés dans 39 pays d’Europe, d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Amérique latine. Dans sa version spécifique au marché européen, l’étude s’intéresse aux 13 % d’adultes aux plus hauts revenus de la région. Pour son édition 2022, parmi les médias d’information générale, CNN se classe en tête sur l’ensemble de la zone Europe 21, devant BBC/BBC World News, Sky/Sky News, Euronews, The Guardian et The New York Times.