Portée par la révolution numérique et la montée en puissance des plateformes de streaming, l’industrie audiovisuelle africaine connaît un essor sans précédent. Les géants mondiaux comme Canal+ et Netflix se disputent un marché en pleine expansion, tout en soutenant la création de contenus locaux.
Le secteur de la production audiovisuelle en Afrique est en plein bouleversement. « C’est la révolution numérique en cours, entamée il y a une vingtaine d’années et accélérée par la pandémie de Covid-19, qui change vraiment la donne pour l’industrie cinématographique et audiovisuelle africaine », constatait l’Unesco en 2021, dans un rapport intitulé « L’industrie du film en Afrique ». « Aujourd’hui, la technologie, le coût raisonnable des équipements cinématographiques numériques et la possibilité nouvelle de distribuer, mais aussi de monétiser des contenus en direct par le biais des plateformes en ligne […] permettent l’émergence d’une nouvelle économie pour les créateurs de contenus africains, qui se passent désormais des acteurs traditionnels », poursuit ce rapport.
La bataille de la télévision payante
L’Afrique est devenue une pièce centrale des acteurs mondiaux de la télévision payante et du streaming… qui font aussi partie des principaux acteurs de la production audiovisuelle. Ainsi, Canal+ a annoncé en février 2024 son intention d’acquérir la majorité du capital de l’opérateur sud-africain de télévision par abonnement MultiChoice (dont il est déjà le premier actionnaire avec 33 % du capital). Présente essentiellement en Afrique francophone où elle compte 8 millions d’abonnés, la chaîne française occuperait ainsi une place stratégique dans les pays anglophones et multiplierait par plus de trois sa taille en Afrique en récupérant les près de 22 millions d’abonnés de MultiChoice. L’ambition du groupe français est claire : « Notre objectif est de créer un champion local qui puisse rivaliser et collaborer avec les géants mondiaux du secteur des médias » qui aura « l’Afrique en son cœur », a déclaré Maxime Saada, président du directoire de Canal+. Pour atteindre cet objectif, Canal+ est prêt à débourser environ 1,5 milliard d’euros. Outre ses 21,7 millions d’abonnés, MultiChoice est aussi l’un des principaux producteurs de contenus audiovisuels en Afrique. En 2021, le Sud-Africain produisait 59 000 heures de contenus locaux, loin devant Canal + et ses 4 000 heures. En acquérant MultiChoice, le Français mettrait aussi la main sur Showmax, la principale plateforme de streaming en Afrique (1).
L’appétit des plateformes de streaming
L’Afrique a longtemps été ignorée par les acteurs mondiaux de la télévision et de la vidéo, à l’exception notable de Canal + présent en Afrique depuis des décennies. Ce n’est désormais plus le cas : « Les avancées technologiques coïncident avec un mouvement mondial qui tend à accroître la diversité à l’écran, ce qui ouvre la porte aux réalisateurs africains vers de nouveaux marchés locaux et étrangers. Puisque les histoires africaines intéressent davantage à l’international, les producteurs africains attirent les intérêts de nouveaux partenaires non historiques, comme les États-Unis et la Chine », constatait encore l’Unesco dans son rapport.
La vidéo à la demande est encore très peu présente en Afrique ; son taux de pénétration s’élèverait à un peu plus de 2 % en 2022 (contre 71 % en Amérique du Nord et 52 % en Europe occidentale), selon la société d’études britannique Ampere Analysis citée par Le Monde. Un retard significatif qui représente aussi un formidable potentiel de croissance pour ces acteurs. L’arrivée de Netflix en 2015 sur le continent a rebattu les cartes ; il compterait plus de 3 millions d’abonnés à ce jour et pourrait atteindre 7 millions en 2025, selon des estimations. Amazon Prime Video fait, lui, figure de Petit Poucet en Afrique derrière Netflix et le sud-africain ShowMax. Mais le géant du commerce en ligne a annoncé en septembre 2024 un investissement de 3,5 milliards de dollars sur six ans pour renforcer ses activités d’e-commerce et de cloud sur le continent. Or l’offre Amazon Prime (associant une livraison accélérée des produits achetés à un accès à la plateforme de streaming) a connu un succès important sur tous les marchés où l’e-commerce s’est développé.
Des contenus locaux
La production de contenus audiovisuels locaux est évidemment cruciale pour tous ces acteurs. « L’acquisition de MultiChoice va nous permettre d’accélérer la production de contenu en Afrique », indique Fabrice Faux, directeur des chaînes et contenus de Canal + International. « L’appétit de nos clients pour des contenus locaux n’a cessé de croître. Comme partout, les téléspectateurs africains ont évidemment envie de se reconnaître à l’écran », rappelle-t-il. « Il y a aussi une très forte aspiration de la jeunesse à revendiquer une fierté africaine », constate-t-il aussi, tendance qui s’illustre par le succès africain du blockbuster américain Black Panther.
La stratégie de contenus du groupe français pour l’Afrique est simple : « Des productions locales pour un public local. » Pour cela, Canal + a principalement opté pour une stratégie d’acquisition de société de production africaine : Rok Studios au Nigeria, Zacu Entertainment au Rwanda et, depuis cette année, Marodi TV au Sénégal, auxquelles s’ajoute une cocréation de l’ivoirienne Plan A en 2020. Via ses quatre studios de production africains, Canal + couvre l’ensemble de la gamme de fictions à destination de l’Afrique. L’essentiel du volume de production (5 000 heures par an) est constitué de dramas, des séries populaires « positives » de 26 minutes, tournées en langues locales (wolof, lingala, peul, etc.). Parmi les séries les plus représentatives, Maîtresse d’un Homme marié (Marodi TV) en est à sa troisième saison et a réuni, en moyenne, 1,5 million de téléspectateurs par épisode sur YouTube. Canal+ produit aussi des séries « premium » de 52 minutes, comme Spinners (Afrique du Sud) ou Niabla (Côte d’Ivoire). La première - pour laquelle Canal+ a plus que doublé le budget de production par épisode (500 000 euros vs 200 000 euros en moyenne) - a touché une très large audience en Afrique australe et est surtout un « énorme succès à export », souligne Fabrice Faux. La série a été vendue à l’Australie et au Brésil et des accords de diffusion ont été signés avec la Pologne, les Pays Bas et récemment avec Lion’s Gate pour l’Inde et la Malaisie.
À la différence des groupes de télévision payante qui ont développé une stratégie d’acquisition de studios en Afrique, les plateformes de streaming misent, elles, plutôt sur des accords avec des maisons de production locales. Ainsi, Amazon Prime Video a signé en 2020 un accord avec la société de production Inkblot, l’un des fleurons du « Nollywood » nigérian. En 2020, Netflix commandait sa première série africaine, Queen Sono, suivie peu de temps après par Blood and Water, deux séries policières sud-africaines qui ont rencontré un fort succès à l’étranger. Blood and Water a été la première série africaine en tête du classement des visionnages aux États-Unis en 2020. Mais la plateforme entend aussi développer des fictions « positives ». « L’Afrique a toujours été dépeinte sous le même angle, comme un continent de souffrances », déclarait au Monde, à l’issue de la sortie de ces séries, Dorothy Ghettuba, responsable des contenus originaux de Netflix pour l’Afrique subsaharienne. Et de conclure : « Nous souhaitons mettre en avant des histoires optimistes, fascinantes, les meilleures. »
Quelle place occupent les séries africaines dans votre offre de programmes à destination de l’Afrique ?
Les séries africaines ont vocation à séduire un large public en Afrique, c’est pourquoi celles au format 26 minutes sont diffusées quotidiennement depuis 20 ans en access prime time sur TV5Monde Afrique. Elles sont aussi disponibles en rattrapage sur notre appli Afrique pour capter une audience mobile assez jeune et être en adéquation avec les usages du continent. Depuis cinq ans, cette offre de séries est accessible sur les autres chaînes de TV5Monde ainsi que sur la plateforme gratuite TV5Mondeplus.
Quelle est votre politique de production ou d’acquisition de fictions à destination de l’Afrique ?
Notre politique d’acquisition est de proposer en première diffusion exclusive mondiale et en priorité sur la plateforme TV5Mondeplus des séries africaines originales. Nous sélectionnons les séries qui font valoir des modèles de société, des spécificités culturelles et des préoccupations propres aux pays où elles sont produites. Quant à notre politique de coproduction, nous nous associons à d’autres partenaires audiovisuels pour produire des séries à vocation plus internationale, comme la série d’anticipation No BlaBla, série événement à gros budget (1,25 millions d'euros).
Vous avez annoncé il y a un an une coproduction pour une série quotidienne. Quelles sont les ambitions de ce projet ?
Nous développons actuellement en coproduction avec Keewu Production et Mediawan Africa le projet de la première série quotidienne d’Afrique francophone, Le meilleur est à venir. Ce projet de grande envergure en lien avec le Bénin a pour objectif également de créer un tissu industriel de production complet dans le pays.