Avec la sortie de son documentaire Kaizen au cinéma et sur YouTube, Inoxtag, de son vrai nom, Inès Benazzouz, 22 ans, et 8,3 millions d’abonnés sur YouTube, frappe fort. Il relate son entrainement jusqu’à l’ascension de l’Everest, et porte un plaidoyer en faveur de la déconnexion. C’est déjà un succès : le doc a été visionné 20 millions de fois. Entretien.
Comment avez-vous eu cette idée de vous lancer dans l'ascension de l’Everest ?
Depuis que j'ai onze ans, je me lance des défis à travers les jeux vidéo. J'adorais jouer à Minecraft, et à Fortnite. Alors j’ai réalisé d’abord ces aventures dans le numérique. Un jour, j'ai eu envie de les vivre dans la vraie vie. Je me suis par exemple lancé le challenge de survivre 48 heures à une invasion de zombies. On a recréé cela en conditions réelles avec Michou et d’autres Youtubeurs : nous ne devions pas nous faire mordre durant ces deux jours. Puis j'ai essayé de me lancer d’autres défis : faire Paris-Roubaix alors que j'avais jamais pratiqué le vélo ou encore survivre seul pendant 48h sur une île déserte au Cambodge…
Un jour, l’envie de découvrir la montagne s’est imposée, et il y a un an, je me suis lancé ce défi sur ma chaine de gravir l’Everest. Quand j’ai annoncé ce projet, je me suis dit : «tant mieux si je réussis, mais si j’échoue, au moins j'aurais appris, j'aurais découvert un nouveau milieu, une nouvelle passion.»
Cela a été le début d’une aventure un peu folle…
J’ai commencé par rencontrer Mathis, guide de haute montagne à Chamonix, et il m’a transmis son amour de la montagne. J’ai commencé à m’entrainer dans les Alpes avec lui. Il a voulu me donner toutes les cartes pour pouvoir garantir ma sécurité et celle de l’équipe qui nous accompagne. En un an, on a fait l’ascension d’une vingtaine de montagnes comme la Dent du Géant, le Cervin dans les Alpes… Et en octobre 2023, nous avons escaladé l’Ama Dablam dans l’Himalaya (6 800 mètres d'altitude). Si mes abonnés ont pu voir quelques-uns de mes entraînements, je n’avais pas du tout évoqué ce premier sommet dans l’Himalaya pour pouvoir le dévoiler dans le documentaire.
Que vouliez-vous montrer avec ce documentaire ?
Mon objectif était d’abord d’insister sur l’effort, le travail, l’entrainement nécessaire avant de pouvoir s’attaquer à l'Everest, de mettre l’accent sur le chemin, et pas seulement sur l’ascension elle-même. Nous y sommes allés par étape, progressivement, en démarrant avec la Mer de glace à Chamonix, puis le Mont Blanc... J’étais accompagné par Mathis pour l’alpinisme et un coach sportif, Idriss, pour la préparation physique (cardio, course, musculation, natation…), parce que tous les jours je devais faire du sport.
Je voulais aussi mettre en lumière ces montagnes qui sont pas forcément connues, comme la magnifique Ama Dablam, la plus belle du monde à mes yeux.
Est-ce que c'était aussi une façon de faire un break ? On voit de nombreux Youtubeurs, à l’instar de Mc Fly & Carlito, qui ont eu besoin de couper avec le rythme infernal des publications de vidéos…
C'est un peu ce qui s’est passé : la découverte de la montagne m'a permis de déconnecter. J'ai pris conscience que c'est bien de vivre des choses dans la vraie vie, de se rapprocher de la nature et qu’internet, cela ne faisait pas tout, qu’il fallait aussi sortir de chez soi. Avant d'annoncer ce projet, j'avais enchaîné de nombreuses vidéos et des voyages d'aventure, mais je me rendais compte aussi que je ne pouvais pas en profiter pleinement. Là j'ai pu prendre une année entière à penser à un seul projet tous les jours, cela m’a permis de prendre du recul. Cela m'a fait grandir aussi. J'ai compris que les plus grandes aventures, les plus grands projets, ne se font jamais seuls. C'est en formant son équipage, en s'entourant correctement, que l'on peut faire de belles choses.
Dans votre documentaire vous insistez beaucoup sur les bienfaits de la déconnexion…
C'est vrai parce que mes abonnés sont habitués à ce que je communique chaque jour, que je publie au moins une story Insta quotidienne, trois live par semaine, une vidéo hebdomadaire… Et là, ma vie a tellement changé que je n’ai rien posté pendant quatre mois. Quand ils verront le documentaire, ils comprendront que j'en ai profité pour me déconnecter. Et j'ai envie de transmettre ce message : plutôt que de scroller dans le vide, mettons-nous tous en mouvement. Des fois, on utilise notre téléphone pour rien. Si on prenait ce temps pour s’intéresser à de nouvelles choses, des passions, développer des nouveaux projets, se mettre au sport, se reconnecter au monde réel, à la nature, aller à la montagne, faire de la randonnée... C'est aussi le but du documentaire que j’ai baptisé Kaizen (NDLR : contraction de deux mots japonais «changement» et «meilleur»), qui est d’inciter à progresser jour après jour. Faisons tous le premier pas vers notre rêve.
Est-ce que vous aviez conscience au moment où vous avez entamé l'ascension de l’Everest de ce qui se passait sur les réseaux ? Du soutien de vos fans qui créaient des chansons ou des danses pour vous encourager, qui vous envoyaient de l’oxygène dans des vidéos…
J'ai publié ma dernière vidéo début avril pour annoncer mon départ pour le Népal et après, j'ai laissé mon téléphone dans mon studio en France pendant trois mois. Je n’avais donc ni TikTok, ni Instagram. Mais mon guide, Mathis, avait son téléphone et il m'a montré tout cela à la fin de l'ascension et j'ai trouvé ça incroyable, ça m'a fait rire. Je ne m’attendais pas à ce qu’ils créent des musiques, des trends TikTok pour m’envoyer de l'oxygène et à tous ces délires autour du Yéti… C’est grâce à eux aussi que je fais tout ça, ils m'offrent l'opportunité de me lancer dans des gros projets. C’est ma communauté qui me donne cette force. Je les remercie infiniment. Après l’aventure, j'ai posté un Yéti qui se promène un peu partout sur mon compte, en référence à ce que les abonnés avaient créé quand je n'étais pas là. Une façon de leur faire un petit clin d'œil.
Qu'est-ce qui a été le plus difficile dans cette ascension ?
Finalement, j’ai réellement commencé l’ascension dès l’annonce de ce projet. En arrivant au camp de base de l’Everest, on avait déjà fait 90% de l'ascension, grâce à la préparation et à l’entrainement quotidien. J'ai eu beaucoup de moments de doute où je me disais : «c'est trop dur, je vais abandonner». Mais je me suis relevé. J’essaye de m’inspirer de la culture des mangas, Shônen en particulier, où les personnages ne baissent jamais les bras. Ils peuvent échouer mais n'abandonnent jamais. J’ai pu aussi compter sur le soutien de mes proches, mon équipe et toute ma communauté. Cette ascension était une aventure collective : si l’équipe qui m’a accompagné au sommet ne comptait qu’une dizaine de personnes (cadreurs, sherpas népalais…), le documentaire a mobilisé plus de 100 personnes.
Aujourd’hui, la technologie permet d’être connecté partout. Vous auriez pu faire le choix inverse, c'est-à-dire de faire une ascension ultra-connectée, en racontant étape par étape l’ascension à votre communauté…
Je me suis très vite dit que ce n’était pas ça que je voulais faire. Déjà avec la montagne, il faut être humble parce qu’on ne sait pas ce qui peut se passer. Et puis c'est un lieu spirituel, où il faut se poser, réfléchir, prendre son temps. Il fallait aussi être concentré, écouter son corps, et écouter la montagne, ce qu'elle disait aussi ou ce qu'elle te faisait ressentir. Donc non, c'est un travail sur soi aussi de remise en question et je pense qu’en montagne il faut être à 200%.
Pourquoi avoir choisi ce mode de distribution hybride pour le documentaire : cinéma et YouTube ?
En travaillant sur le documentaire, on s'est rendu compte que l’on avait finalement produit un vrai film, sur lequel on avait travaillé longtemps et on s'est dit pourquoi pas le faire vivre sur grand écran ? D’autant que les images s'y prêtent, elles sont époustouflantes et c’est une autre expérience au cinéma, même d'un point de vue sonore. Quand j’ai vu que les plateformes de réservation des séances étaient saturées (NDLR : plus de 300 000 billets ont été vendus), je me suis dit que jamais le petit garçon de 11 ans qui se filmait dans sa chambre n’aurait pensé un jour avoir sa vidéo YouTube dans tous les cinémas de France.
En parallèle, le doc est diffusé, et le restera, sur ma chaine YouTube parce que j’avais promis à mes abonnés qu’ils pourraient le voir gratuitement. Je leur dois bien ça : c'est grâce à eux que j'ai pu le faire ! Moi je viens de là, je viens de YouTube, et c’est aussi pour ça que j’ai refusé des offres de diffusion de plateformes qui me proposaient beaucoup d'argent. J'avais envie de garder cette ligne éditoriale : on a fait ce projet ensemble avec ma communauté, et il restera gratuit sur YouTube.
Comment avez-vous embarqué des partenaires dans cette aventure ?
Au tout début, quand j'ai lancé le projet, nous n’avions aucun partenaire. J’ai quand même démarré l’aventure, en me disant que l’on arriverait à en trouver en cours de route. J’ai pris ce risque. Puis Nike a rejoint l’aventure. Pour ma part, j'ai toujours porté des Nike au pied, et été habillé en Nike quand je faisais du sport. Donc j’avais déjà un lien avec la marque, même si cela ne s'était jamais concrétisé par un projet commun. Idem avec les gourdes AirUp : je trouvais que ça coïncidait bien avec le projet de l'Everest. Tout comme avec Fitness Park, c’était cohérent avec ma préparation sportive. On a essayé de garder des marques qui vont bien ensemble et ce qui est cool, c'est que c'est la première fois qu'une vidéo YouTube réussit à allier plusieurs marques. Et puis Orange nous a rejoints après l’ascension parce que le message de la déconnexion correspondait aussi à une communication qu’ils portent. La campagne avec Orange est sortie le 9 septembre.
Combien coûte une aventure comme celle-là, qui est aussi une grosse production ?
Le projet global, qui comprend toutes les expéditions, les entraînements, plus la production du documentaire, a coûté plus d'un million d'euros.
Dans votre relation avec les marques, quelle est votre marge de manœuvre ? Vous pouvez leur dire non ?
C'est mon agence, Webedia, qui gère ma relation avec les marques. Ils me proposent des partenariats, en m’expliquant les attentes de l’annonceur à chaque fois par rapport au projet. Je leur donne mon ressenti : «je suis d'accord pour ça, mais un peu moins à l’aise avec cet aspect-là». J’écoute aussi le point de vue des marques qui ont également des impératifs et j'essaie aussi de faire des efforts pour m’adapter si besoin. Je ne suis pas fermé à des propositions mais il faut que chacun fasse des efforts. Il y a parfois des marques avec lesquelles c’est plus difficile mais c’est rare, en général ça se passe très bien. Je me sens très libre de proposer des idées originales créatives et elles me font de plus en plus confiance.
Il y a eu une période, il y a deux-trois ans, où nous étions beaucoup moins libres, les marques étaient plus dans le contrôle sur le plan de la communication. Sur le projet Everest, les annonceurs m’ont laissé une entière liberté et m'ont fait confiance du début jusqu'à la fin.
Vous n’avez que 22 ans et vous avez créé votre première chaîne YouTube à l’âge de 11 ans…
J'ai toujours rêvé d'être Youtubeur et même si j’ai démarré à 11 ans, cela n’a pas marché pendant cinq ans. Je faisais des vidéos sur le gaming mais je n'avais que 50 abonnés.
Vous comprenez pourquoi ça a fini par décoller ?
Peut-être parce que j'ai toujours essayé d’envoyer des ondes positives aux gens. Je voulais que mes vidéos leur permettent de se changer les idées, de rigoler un peu, de se détendre. Et puis sur internet, on se parle comme des amis, donc il y a peut-être un attachement qui se crée à ce moment-là et petit à petit, on vit des aventures ensemble, ils m'ont permis aussi de réaliser mes rêves. Ce documentaire, c'est le leur.
Après cette aventure hors norme, on a du mal à vous voir reprendre la création de contenus comme avant, au même rythme et uniquement dans votre studio ?
Je ne vais pas continuer comme avant, au même rythme. Désormais je vais prendre beaucoup plus de temps, peut-être que pendant deux mois, il n’y aura pas de vidéo. Mais je ferai quelque chose qui me plaît, avec un message à chaque fois, avec une identité éditoriale. Je continuerai de faire des lives parce que j'adore ces moments naturels où je suis sur mon ordi chez moi, en pyjama ou en claquettes, et je passe un bon moment avec les gens en train de jouer. Je continue de jouer aux jeux vidéo, c'est toujours ma passion. Mais c’est sûr que je vais considérablement diminuer le rythme après cette aventure parce que j'ai envie aussi de prendre du temps pour le passer avec ma famille, avec mes proches et continuer d'explorer de nouveaux horizons. Je pense qu'il y a un avant et un après Everest, peut-être que je produirai un peu moins de contenus, mais ils seront beaucoup plus travaillés. Je continuerai aussi à me lancer dans des aventures parce que c'est dans ma mentalité, sans forcément chercher à faire plus grand, plus impressionnant que l’Everest, mais différemment.