Le Festival de la fiction de la Rochelle montre que nos programmes accordent de plus en plus de place aux thématiques de société, propre à la France d'aujourd'hui, avec un matériau indémodable : le thriller.
Thierry Godard, le président du jury du 26e Festival de la fiction de La Rochelle, qui s'est tenu du 10 au 15 septembre, parle de « mettre gentiment les pieds dans le plat ». Le palmarès de cette édition en atteste : prix du meilleur téléfilm pour À l'épreuve, d'Akim Isker pour France 2, qui suit une mère seule contrainte de devenir éboueuse pour élever son enfant (avec Frankie Wallach, Bernard Campan et Clémentine Célarié). En séries, sont récompensées notamment Nismet (52 mn), réalisée par Philippe Faucon pour Arte et qui raconte la fugue d'une ado de 15 ans cherchant à échapper à son beau-père, ou des Des Gens bien ordinaires (moins de 20 mn), d'Ovidie, qui suit les destins de deux jeunes de 18 ans, entre porno et aspirations révolutionnaires.
Prix de la meilleure interprétation féminine, Signalements, d'Éric Metayer, avec Cécile Bois, raconte le parcours d'une femme qui affronte seule le système associé à la maltraitance de la petite enfance pour sauver sa nièce, victime de ses parents. Quant au prix équivalent pour les acteurs, il revient à Nicolas Duvauchelle et Guillaume Gouix pour Fortune de France, une saga historique en décors naturels de Christopher Thompson sur France 2 (d'après le livre de Robert Merle sur les guerres de religion au 16e siècle). Pour Stéphane Sitbon-Gomez, directeur des programmes de France Télévisions, « c'est la série la plus d'actualité car elle montre la manière dont le fanatisme, la polarisation, le sectarisme créent les plus graves déchirements ».
Prise de conscience
Le combat pour la vie d'une femme seule, l'enfance maltraitée, la fugue d'une ado, la guerre entre deux religions... Pour Sonia Rolland, actrice, réalisatrice et membre du jury, ce n'est pas un hasard si tous ces thèmes parlent de et à notre société : « Les sujets vont vers l'humain, constate-t-elle. Et c'est une agréable surprise qu'il y ait une conscience et un engagement de la part des chaînes. » Certes, les 48 oeuvres projetées à la Rochelle – 37 en compétition – ne s'inscrivent pas toutes dans cette veine sociale, mais beaucoup disent quelque chose des angoisses de notre époque.
Le traitement qui y répond reprend d'ailleurs beaucoup les codes du thriller comme on le voit dans Une amie dévouée, de Jean-Baptiste Delafon et Fanny Burdino, une série avec Laure Calamy tirée du livre La Mythomane du Bataclan, d'Alexandre Kaufmann. « Nous avons été frappés par le fait que cette histoire pouvait dans un genre très particulier qui est celui du thriller psychologique, marquer le portrait d'une femme à la fois très dérangeant et très bouleversant », expliquait la semaine dernière à La Rochelle Vera Peltekian, vice-présidente, responsable des productions originales françaises de la plateforme Max.
Au cœur de la France périphérique
Traques, disparitions, enquête, crimes... Ce sont aussi les ingrédients de Cimetière Indien, la nouvelle série de Canal+ de Thomas Bidegain et Thibault Vanhulle, qui sera projetée en 2025 et qui relate des assassinats (en scalpant) à trente ans d'intervalle dans la ville fictive de Péranne, sur fond de racisme et d'islamisme. « On avait aussi envie de raconter quelque chose de la France contemporaine, ce qui en fait un thriller social », a précisé Thibault Vanhulle, cocréateur et coscénariste, qui dépeint ainsi l'environnement de la fiction : « Un territoire péri-urbain au nord de Marseille, fait de ronds-points et de zones commerciales qui succèdent à des zones industrielles qui succèdent à des zones pavillonnaires. C'est une France familière, dite périphérique, présente sur tout le territoire national et trop peu à mon sens représentée sur les écrans. » Pour lui, « l'ambition de cette série est qu'on puisse tous s'interroger sur notre responsabilité collective dans la fabrique du monstre ».
Plus légère est Murder Club, la mini-série pour M6 créée par Nathalie Hug et Jérôme Camut, et réalisée par Renaud Bertrand, avec Éric Cantona et Tiphaine Daviot. Cette histoire de chasseurs de serial killer se veut ultradivertissante avec moult scènes de boxe, d'escalade, de kung fu, de course-poursuite et des décors insolites, hors commissariat. Pour Nathalie Perus, directrice générale d'Atlantique Productions (Mediawan), « l'exploit de cette série est de réussir l'exercice d'équilibriste entre l'humour et le thriller, avec des têtes coupées, on tient sur le fil entre une intrigue glaçante et haletante et des moments d'émotion et d'espièglerie. Un ton à l'anglaise ».
Netflix, qui veut passer d'une vingtaine à 24 productions françaises par an en 2026, n'échappe pas au genre. Avec sa saga de l'été, Qui sème le vent, créée par Nils-Antoine Sambuc (coscénariste d'En thérapie), la plateforme s'intéresse à une jeune cueilleuse de fleurs (Ava Baya) accusée d'avoir tué le patriarche d'un domaine floricole face à une matriarche tyrannique (Isabelle Adjani). Mais ce sont aussi les séries Les Lionnes, créée par Carine Prévost et Olivier Rosenberg, qui narre l'histoire de quatre femmes vivant dans la misère à Marseille et qui décident d'organiser un braquage ; La Cage, de Franck Gastambide, ou l'ascension éclair de Taylor Lapilus, champion de MMA ; Bandi, d'Eric et Capucine Rochant, réalisée par Jimmy Laporal-Trésor, sur une famille martiniquaise qui bascule dans le monde criminel des gangs et de la drogue ; ou encore GIGN ; de Julien Leclercq et Sylvain Caron avec Tomer Sisley. « Nous continuons d’explorer l’action et le thriller testostéroné, un genre que notre public adore. Au sein du GIGN, nous pouvons pousser les curseurs de la dramaturgie assez loin », a déclaré à La Rochelle Clémentine Gayet, creative executive en charge des séries originales de Netflix. Le drame est, avec la romance et le soap, le terrain de développement prioritaire du géant en France.
Un domaine d'excellence
Sur les 100 meilleures audiences au premier semestre, 97 sont des fictions. On pense bien sûr à HPI (10,4 millions de téléspectateurs pour le premier épisode de la saison 3), sur TF1, mais il y aussi Panda avec Julien Doré, Balthazar avec Tomer Sisley et Master Crimes avec Muriel Robin. Côté plateformes, The Walking Dead (Netflix, OCS), You (Netflix) et Lupin (Netflix) ont séduit. En 2023, le volume de production est stable (-1,5%) avec 1067 heures. La reprise de Plus Belle la vie et l'arrivée d'un feuilleton sur M6 en 2025 gonfleront sans doute ces chiffres. Mais selon Iris Bucher, présidente de l'USPA, des nuages s'accumulent sur les financements de la fiction : « Il y a urgence à péréniser d'ici la fin de l'année le financement de l'audiovisuel public par une fraction de TVA », dit-elle. Elle cite aussi les risques de ponction dans le budget du CNC ou une réforme sur le crédit d'impôt qui pourrait favoriser les délocalisations. Et face aux « assymétries réglementaires », l'objectif est désormais de « parler d'une seule voix » au sein de l'audiovisuel.