Ex-grand reporter du Parisien, Ava Djamshidi est rédactrice en chef de Elle (CMI France) où elle multiplie les scoops autour de #MeToo, bien décidée à imposer son journal dans la cour des médias qui créent de la reprise.
Elle a des allures de poulbot en stiletto. Le verbe est cash et l’allure, glamour. La rédactrice en chef du magazine Elle, Ava Djamshidi, semble sortie d’un dessin de René Gruau. La photo de l’article prise, elle s’empresse d’attacher sa chevelure à la va-vite avec un stylo pour se raconter sans palabre. L’ex-enfant chérie du Parisien, révélée en couvrant les printemps arabes est née à Paris en 1983 d’un père iranien, qui travaillait dans l’informatique et d’une mère chilienne, traductrice ayant fui la dictature de Pinochet avant de prendre un temps la tête d’un salon de coiffure multiethnique à Trappes (Yvelines).
« Je ne me sens pas clivée. Je suis d’ici et pas d’ailleurs. J’ai grandi à Voisins-le-Bretonneux avec l’idée que c’était une chance de vivre dans le pays des lumières, où l’on peut chérir la culture, avoir des bibliothèques publiques et bénéficier d’un système de santé », précise-t-elle. De 13 à 15 ans, elle vit au Chili avant d’intégrer l’École supérieure de journalisme de Lille. « J’ai toujours eu envie de faire ce métier. Mes parents voyaient cela comme un job de ménestrel mais tant que je travaillais bien, ils me laissaient faire. Leur seule exigence, c’était que je devienne une femme autonome et indépendante. »
Elle avoue : « J’ai eu un coup de foudre pour Le Parisien en y faisant un stage. J’aimais sortir des infos et que tout le monde les reprenne plutôt que de reprendre celles sorties ailleurs ». Karim Nedjari, aujourd’hui directeur général de RMC, dirige alors le service des sports du Parisien. Il la prend sous son aile. « Elle était atypique, avec un caractère bien trempé mâtiné de timidité. Elle a mis du temps à se rendre compte de son potentiel. Mais elle avait la douceur nécessaire pour emmener avec efficacité son interlocuteur là où elle voulait, comme au judo », explique Karim Nedjari. « La performance sportive n’était pas dans mes centres d’intérêt. Mais cet environnement très compétitif était parfait pour m’aguerrir », reconnaît Ava Djamshidi. Elle apprend à rendre ses comptes rendus de match « au sifflet », comprenez dès que l’arbitre sonne la fin de la rencontre pour être présent dans l’édition du lendemain. « C’est la meilleure école. On est ensuite capable de rédiger en direct tous les papiers », affirme-t-elle.
Chien truffier
À 27 ans, elle intègre le service politique du quotidien et couvre les printemps arabes, de la Tunisie à l’Égypte, avant d’enchaîner avec toutes les zones de conflits de la République centrafricaine à la Crimée. « C’est une femme libre, baroudeuse et qui ne se laisse pas faire », détaille Renaud Baronian, du Parisien. Elle se régale de ce « truc de chien truffier qu’a développé le Parisien : trouver des angles et des infos ». Son courage et sa plume n’échappent pas à Erin Doherty, directrice de la rédaction de Elle, qui lui propose de les rejoindre alors que le titre a intégré la catégorie IPG (information politique et générale). « Ils me donnaient carte blanche en tant que grand reporter sur les sujets politiques et étrangers. J’y ai vu la possibilité de traiter de sujets avec plus de temps pour enquêter, plus de place pour les développer et les écrire », souligne Ava Djamshidi. La naissance de son fils, aujourd’hui âgé de 2 ans, n’est pas étrangère à ce choix, reconnaît-elle. Elle multiplie les coups, des interviews des époux Macron aux femmes afghanes dans un numéro spécial de 30 pages en 2021. Meilleure vente de l’année.
En septembre 2023, Véronique Philipponnat, directrice de Elle, lui propose la rédaction en chef magazine à la suite du départ d’Anne-Laure Sugier à France Inter. « C’était un changement de vie après seize ans sur le terrain. Je suis désormais à Levallois-Perret avec une centaine de salariés dont dix plumes ». Elle recrute Cécile Ollivier, cheffe du service police justice de BFMTV, pour mener des enquêtes exclusives sur #MeToo et l’emprise. En un an, elles sortent les témoignages d’Anouk Grinberg sur Gérard Depardieu, de Judith Godrèche sur Benoît Jacquot et Jacques Doillon, et les plaintes pour viols contre Gérard Miller et le producteur Alain Sarde. « J’ai une capacité à concevoir et trouver des infos et Véronique Philipponnat est extraordinaire pour les événementialiser, ce qui nous vaut beaucoup de reprises », explique Ava Djamshidi.
Le magazine, qui affichait 258 521 exemplaires par semaine en 2023 (-8,6% versus 2022) et 10,5 millions de lecteurs print/digital, en a bien besoin. « Je veux qu’on gagne des abonnés et ces sujets exclusifs le font. Ce journal est fait pour se détendre, se distraire, apprendre, se cultiver, rire et être connecté à la société. » Un mélange qui a la couleur de la chaîne Réels TV, lancée sur la TNT par CMI France en mars prochain. Son implication n’y est pas encore définie…
Parcours
2006-2008. École supérieure de journalisme de Lille.
2007-2020. Le Parisien, service sport, puis grand reporter sur la politique française et étrangère, et la défense.
2013. Premier livre, Coupable d’avoir été violée (Michel Lafon), suivi de La Belle et la Meute (Michel Lafon), Madame la Présidente (Plon) et L’Intrigante Sarah Knafo (Robert Laffont).
2016-2021. Chroniqueuse à LCI.
2020. Grand reporter à Elle.
2021. Signe 30 pages de reportage : « Aux côtés des femmes afghanes ». Meilleure vente de l’année.
2023. Rédactrice en chef du magazine Elle.