Invisibilisés par les générations Y ou Z et les influenceurs pendant une décennie, les seniors se rebellent. S’appuyant sur une silver economy en pleine croissance, les vieux revendiquent leurs médias, leur attractivité, leurs icônes, leurs rides et leur avenir.

Ils ont tous les deux incarné l’esprit Canal, cette pop culture furieusement sexy qui faisait rêver la France des villes et des champs et affolait l’audimètre. À respectivement 56 et 70 ans, Maïtena Biraben et Antoine de Caunes proposent deux médias dédiés à ceux qui ont déjà brûlé la moitié de leur vie. Avec son associée, Alexandra Crucq, l’ancienne animatrice des Maternelles (lire page suivante) lance « Mesdames, le nouveau média digital qui parle aux femmes de 45 ans et plus ». « 9 millions de femmes ont entre 45 et 65 ans en France », rappelle l’ex-présentatrice du Supplément sur Canal +.

Florence Foresti synthétise leur potentiel d’un efficace « 50 ans, c’est l’adolescence avec une carte bleue ». Soit moins d’incertitudes, plus de pouvoir d’achat et de temps, et une furieuse envie de croquer la vie, avec fantaisie. Quant à Antoine de Caunes, il a dit banco à Romain Jubert, le directeur éditorial qui a pitché le trimestriel Vieux au groupe CMI France. Un magazine de société qui fait dialoguer les écologistes Camille Étienne et Brice Lalonde, interroge Daniel Auteuil ou la journaliste Salomé Saqué. Le trublion inoxydable de Nulle Part ailleurs est le conseiller éditorial du « magazine qu’on finira tous par lire » parce que la vieillesse est notre horizon commun.

Le monde du podcast foisonne aussi du revival des seniors. La journaliste et entrepreneuse Elsa Wolinski dans « Allez j’ose » interroge sans fausse pudeur Carla Bruni-Sarkozy ou Isabel Marant sur les problématiques de la ménopause, si longtemps tues. Même thématique pour la journaliste de LCI Claire Fournier avec le podcast Chaud dedans tandis que la journaliste Michèle Fitoussi, ex-pilier du Elle, propose sa newsletter « My Beautiful Seventies » car « Vieillir n’est pas (toujours) une punition ».

Quoi de neuf ? Vive les vieux revendiquent ces médias. « On est face à une fracture générationnelle avec des luttes de pouvoir entre les jeunes et les vieux en Occident. Les vieux ne veulent pas lâcher le morceau, ils ont toujours le pouvoir financier tandis que le pouvoir communicant est dans les mains de la gen Z, née de la crise, moins nombreuse et en demande de reconnaissance », assure Vincent Grégoire, consumer trends director de l’agence NellyRodi, cabinet de conseil en stratégie des industries créatives.

Mais pourquoi cette avalanche de rides ? « Dans notre société qui valorise la jeunesse et l’enfance, ce mouvement répond au manque de visibilité des sexygénaires », avance Vincent Grégoire. D’où les choix de Diana Ross et Lauren Hutton, 80 ans chacune, pour incarner la collection été 2024 de Yves Saint Laurent : « Ces femmes correspondent bien à la puissance de la provocation de la marque et l’incarnent mieux que des jeunes, assure Christine Milan, directrice de la stratégie pour le luxe chez Publicis. Après avoir été l’égérie de Lancôme de 30 à 40 ans, Isabella Rossellini l’est redevenue à 60 ans. Elle incarne le privilège de vieillir, avec des visuels très peu retouchés. Elle promeut un rapport, non subi mais choisi, à la beauté qui permet de se sentir bien sans prôner le "reverse time" ». Idem pour la marque de cosmétique Sisley, codirigée par Christine d'Ornano. Cette dernière vient de choisir Lucie de la Falaise, 51 ans (lire encadré), ex-muse d'Yves Saint Laurent, retirée des podiums depuis longtemps, mariée depuis trente ans à Marlon Richards (fils du Keith des Rolling Stones) et élevant leurs trois enfants dans la campagne anglaise pour promouvoir Sisleÿa, sa gamme anti-âge. Des femmes mûres inspirantes qui sont autant d’échardes au cœur d’une société où les interventions esthétiques sont désormais davantage réalisées par les 18-25 ans que par les plus de 60 ans.

Grandfluenceurs

Les vieux sont aussi une cible au portefeuille bien garni. 26 % des Français ont plus de 60 ans, soit 15 millions de personnes. D’ici à 2030, le poids de leur consommation augmentera de 60 %. Mais pour Maxime de Pommereau, directeur de création à Heaven, ce retour en grâce des seniors ne s’explique pas que par la silver economy. « Les seniors ont été mal adressés car stéréotypés vers les secteurs de la santé et de l’assurance. Ils reprennent le pouvoir. On le voit avec les grandfluenceurs qui performent sur les réseaux sociaux comme Baddiewinkle, 95 ans et 3,1 millions d’abonnés Instagram dont Rihanna. Et Getty Images a signé un partenariat avec l’AARP, la plus importante ONG américaine dédiée aux 50 ans et plus pour déconstruire l’imagerie clichée des seniors ».

Une démarche similaire à celle de Céline choisissant en 2015 l’écrivain Joan Didion comme égérie. Aujourd’hui, c’est Burger King qui illustre ses 70 ans avec des seniors chauds bouillants. Loin des clichés d’êtres dépassionnés. « Si la jeunesse est un moteur d’innovation, ce n’est pas le seul chemin vers la réussite. Virginie Efira, qui a rejoint l’équipe transgénérationnelle d’égéries Lancôme a percé dans le cinéma à l’orée de la quarantaine comme Giorgio Armani s’est investi dans la mode à 42 ans », souligne Christine Milan. Vieux et en devenir, tout un programme. Après la fracture générationnelle, arrive-t-on à une conversation intergénérationnelle comme le promeut le magazine Vieux ? « Le digital et notamment les plateformes proposent un espace conversationnel intergénérationnel avec des codes communs qui vont peut-être permettre à tous de mieux se comprendre », conclut Christine Milan.

Christine d’Ornano, cofondatrice de Sisley : «Pourquoi j’ai choisi Lucie de la Falaise»

La marque française de luxe Sisley a choisi la quinqua Lucie de la Falaise, ex-muse d’Yves Saint Laurent, retirée du métier depuis deux décennies, pour incarner sa gamme iconique anti-âge Sisleÿa.

« J’ai rencontré Lucie à un événement et elle m’a dit à quel point elle aimait les produits Sisley. Cela m’a semblé naturel de lui demander si elle voudrait être l’égérie de Sisleÿa. En plus, nous partageons cet amour de la nature, de l’authentique. J’aime beaucoup la façon dont elle a choisi de mener sa vie en mariant carrière, famille et vie à la campagne. La beauté n’a pas d’âge. Elle évolue. Et l’idée, c’est d’évoluer le mieux possible. D’être belle à tout âge. Pour nous, le plus important, c’est l’authenticité. Nos clientes apprécient de voir un visage de femme mûr non trafiqué et nous avons d’ailleurs eu beaucoup de commentaires positifs. Bien vieillir, c’est être épanouie et bien dans sa peau (c’est le cas de le dire) à tout âge. Lucie incarne si bien cela. »