La pression, dans de nombreuses agglomérations qui veulent limiter la publicité extérieure, s’accroît sur les afficheurs. Ceux-ci multiplient les initiatives, avançant leurs arguments tout en attaquant en justice.

Une maire de Paris « entièrement d’accord avec cette idée de sortir de la publicité marchande et de cette addiction » ; son homologue de Nantes expliquant que sa commune est entrée « dans une logique de réduction considérable de la publicité dans la ville » car « au-delà de la pollution visuelle, lumineuse et de la dépense énergétique, il se joue aussi notre relation à l’hyper-consommation »… Ces derniers mois, de Grenoble à Lyon, en passant par Bordeaux ou Rennes, les sociétés de communication extérieure sont dans le collimateur de municipalités, le plus souvent de gauche ou écologistes, qui mettent en œuvre les programmes sur lesquels elles ont été élues.

Pour comprendre cette situation, il faut revenir quelques années en arrière. Inscrite dans le code de l’environnement, la loi du 29 décembre 1979 vise à concilier la liberté d’affichage et la protection du cadre de vie. En l’absence d’un système d’autorisation préalable auquel les afficheurs auraient pu être soumis, une simple déclaration étant suffisante, c’était alors à l’État ou au maire de veiller au respect de la loi. « Quand il y a deux autorités compétentes, aucune ne se sent concernée, si bien que pendant longtemps cette législation était l’une des moins respectées », décrypte Jean-Philippe Strebler, un universitaire strasbourgeois à l’expertise reconnue. À partir de 2010, un changement intervient. Si la commune dispose d’un règlement local de publicité (RLP), un outil qui permet d’adapter les dispositions nationales, le pouvoir de police revient au maire. Sinon, la responsabilité en incombe au seul préfet.

« Les associations de protection de l’environnement ont commencé à partir de ce moment-là à éplucher les textes et à signaler les infractions aux préfets », rappelle Jean-Philippe Strebler. Nombre d’entre eux, du fait de leur inaction, ont été condamnés. La loi climat du 22 août 2021 a finalement décidé qu’à compter du 1er janvier 2024, c’était à chaque maire, et à lui seul, de faire respecter la loi. Trente-cinq mille élus en France sont alors devenus compétents en matière d’affichage, avec un pouvoir de police considérable. Si un panneau ne respecte pas les règles, l’édile peut prendre un arrêté de mise en demeure et l’afficheur a cinq jours pour se mettre en conformité, sous peine d’une astreinte de 239,89 euros par jour de retard.

Régime strict

Beaucoup d’élus, face à cette échéance de 2024, se sont lancés dans l’élaboration de règlements locaux de publicité. Facultatifs, ils ne constituent pourtant pas toujours, selon Jean-Philippe Strebler, la réponse adéquate. Pour sillonner la France au gré des formations qu’il dispense aux collectivités, il dresse un constat sans appel : « Il y a énormément de panneaux en France qui ne respectent pas les règles nationales. » Il suffit donc parfois, tout simplement, de faire appliquer la réglementation nationale, notamment dans les communes de moins de 10 000 habitants. Sauf si elles font partie d’une agglomération de plus de 100 000 habitants, elles sont soumises à un régime strict en termes de format de panneaux, limités à 4,70 m2, d’emplacement ou de publicité numérique, qui y est proscrite.

Mal conseillées par l’État, peu au fait du droit de l’affichage, nombre de communes ont pourtant opté pour l’élaboration d’un RLP, au risque de sortir des clous, notamment en matière de numérique. La jurisprudence du Conseil d’État a ainsi établi qu’il n’était pas possible de la bannir de manière indistincte. « Les maires qui interdisent la publicité numérique commettent un excès de pouvoir. Le fait que, contrairement aux panneaux classiques, elle soit soumise à autorisation préalable signifie qu’un refus au cas par cas est déjà possible », pointe Jean-Philippe Strebler.

Face à cette offensive, la profession ne reste pas inactive. L’Union de la publicité extérieure (UPE), qui la représente, a fort à faire. Trois cent cinquante règlements locaux de publicité sont en cours d’élaboration ou de révision, indique son président, Stéphane Dottelonde. « C’est toujours une affaire d’équilibre entre la protection du cadre de vie et la préservation des activités économiques », rappelle-t-il, citant des cas de « rupture » de cet équilibre, notamment à Rennes, Bordeaux et Lyon. S’agissant de cette dernière agglomération, Stéphane Dottelonde estime que « le curseur a été mis trop loin », rappelant que « la jurisprudence du Conseil d’État établit que l’objectif recherché de protection du cadre de vie et de l’environnement ne peut pas être attentatoire à la liberté du commerce et de l’industrie ».

En décembre 2023, l’UPE a attaqué le RLP de Lyon, comme plusieurs afficheurs locaux. C’est le cas d’Ellis, un acteur spécialisé dans les panneaux longue conservation. « Sur les 90 faces dont nous disposons, on va en perdre 70 %, et le format va tomber à 2 ou 4 m2 », se désole son dirigeant, Thibault Lévy. « S’il faut éteindre les enseignes quand on ferme les magasins, quel est l’intérêt d’en installer ? », s’interroge Julien Aguettant, de la société Light Air, qui dénonce des « interdictions déguisées » avec « l’accumulation de normes ». Au total, dix-sept recours ont été intentés contre le RLP de Lyon.

Début mai, en première instance, l’UPE a enregistré une victoire contre le RLP de Limoges, trop restrictif. « On n’est pas là pour mener une guerre juridique aux collectivités, nous sommes dans le dialogue permanent avec elles », tempère Stéphane Dottelonde. Au même titre que les associations de défense de l’environnement, l’UPE doit nécessairement être consultée lors de l’élaboration d’un RLP. À La Roche-sur-Yon, la société Cocktail Vision, présente dans 80 villes avec de l’affichage numérique grand format, vient de remporter son procès en appel contre le RLP de l’agglomération de Brest. « C’est d’abord une victoire du droit car c’est dans notre ADN de travailler en collaboration avec les villes », précise son président Stéphane Frimaudeau. Satisfait de cette décision de justice qui, selon lui, conforte son modèle économique, il regrette d’avoir perdu cinq ans. « On a essayé de se plier aux nouvelles normes mais avec des panneaux de 2 m2, quand la loi nous autorise à aller jusqu’à 8 m2, dans des zones peu visibles, ce n’était pas tenable, notre chiffre d’affaires a été divisé par dix », pointe-t-il. Pour Éric Landot, un avocat qui intervient pour des collectivités dans ce type de contentieux, cela illustre la « maladresse » de certains élus lors de l’élaboration de règlements locaux.

Toits végétalisés

La profession rappelle que, depuis octobre, un décret limite la surface des panneaux à 8 m2, signant la mort du fameux 4X3, et met en avant les efforts accomplis ces dernières années. Un bilan commandé il y a trois ans par le ministère de l’Environnement a montré que dans les dix années précédentes, le nombre de panneaux, hors mobilier urbain, a diminué de moitié en France. L’UPE a mis en ligne en décembre deux études commandées à KPMG qui prouvent, selon son président, que l’affichage extérieur, même digital, émet moins de CO2 qu’internet. Or restreindre l’affichage reporte les annonceurs locaux vers le web. Le résultat est donc inverse de celui recherché.

« Je n’ai rien contre Meta mais il faut aussi que le chocolatier de Châteauroux n’ait pas que Facebook ou Instagram pour communiquer », abonde Isabelle Schlumberger, directrice générale commerce, marketing et développement de JCDecaux. Elle met en avant « les millions d’euros investis » par son entreprise dans le cadre de son plan climat net zéro carbone à horizon 2050. Au dernier salon VivaTech, l’afficheur présentait ainsi un Abribus composé à 91 % de matériaux upcyclés.

Chez Cityz Media (ex-Clear Channel), Caroline Mériaux, directrice de la communication et du développement durable, évoque l’éco-impression, à partir de papier recyclé et d’encre végétale, mise en œuvre pour l’information municipale à Bordeaux, l’installation dans cette même ville de toits végétalisés sur des abris voyageurs ou l’éclairage LED de ses équipements. « Nous voulons réduire de moitié d’ici à 2030 nos émissions de gaz à effet de serre par rapport à 2018. Fin 2023, nous étions déjà à moins 30 % », se félicite-t-elle.

Même des entreprises moins concernées par le code de l’environnement telles que Mediatransports, qui opère principalement dans les gares SNCF et le réseau RATP, doivent s’engager. « Nous allons supprimer d’ici à fin 2025 tous les panneaux papier dans les gares. En passant de 12 000 faces papier ou numérique à 3 000 écrans, on divise la densité publicitaire par quatre et on diminue aussi notre empreinte carbone de 45 % et notre consommation électrique de 71 % », calcule Alexandra Lafay, directrice du développement durable et de la communication. « Nous voulons en 2030 dédier la moitié de notre temps de diffusion à des marques engagées », relève de son côté Sandrine Clion, directrice générale de Imedia center, qui dispose de 3 600 écrans, notamment chez Auchan.

Reste à convaincre les élus et l’opinion publique de ces louables efforts. « Les gens ne savent pas que les abris voyageurs ne sont pas financés par leurs impôts, mais par la publicité », remarque Mickaël Henry, directeur général adjoint de Dentsu Trading chargé du pôle affichage. C’est pourquoi il plaide pour une prise de parole « plus large » de la profession.

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