Raphaëlle Bacqué donne à voir les grands de ce monde. Derniers visés : Gérard Depardieu en librairie, Karl Lagerfeld pour une série de Disney+ (Becoming Karl Lagerfeld) et les éminences grises du CAC 40 cet été dans Le Monde.
C’est à la brasserie Le Select qu’on la rencontre, dans le triangle de sa vie. Elle est née dans le 14e arrondissement et y demeure depuis trente ans avec son mari, qui dirige à La Revue du vin de France. Ils vivent dans l’appartement qu’ils ont acheté avec, pour apport, les droits d’auteur des 115 000 exemplaires de leur livre Chirac Président, les coulisses d’une victoire (Éditions du Rocher) sorti le lendemain de la présidentielle de 1995. « Nous avions rencontré dans la queue d’un cinéma deux jeunes HEC qui nous avaient parlé de ces « quick book » sortant au lendemain d’un événement et qui cartonnaient aux États-Unis ». Dix ans après, les travaux de leur appartement ont été financés par La femme fatale (éd. Albin Michel), dédié à Ségolène Royal, coécrit avec Ariane Chemin et écoulé à 350 000 exemplaires. Son plus beau succès.
Elle sait jouer de sa curiosité pour les autres, de sa ténacité et de son carnet d’adresses pour signer ses portraits. Quitte à publier des informations que les intéressés auraient voulu oublier, comme Karl Lagerfeld : « Son père industriel fournissait à la Wehrmacht du lait concentré pendant la Seconde Guerre mondiale. Il avait réussi à effacer son origine puis à la réinventer », souligne-t-elle. Elle l’a suivi pour Le Monde de Paris et à Hambourg. « Il m’avait d’abord fait passer une sorte de questionnaire de culture générale sur le mode "vous n’êtes pas à mon niveau". » Les articles sont devenus la matière du livre Kaiser Karl (Albin Michel), aujourd’hui adapté par Disney+ en une excellente série de fiction Becoming Karl Lagerfeld. « J’ai suivi une formation à la Femis sur l’écriture de scénario en 2020 avant de signer les arches narratives du projet. J’ai fait ce que je sais faire, la structuration d’une histoire ».
Ses détracteurs lui reprochent de trop bien raconter les histoires, quitte à romancer ses récits, voire à recréer des scènes. Le résultat se dévore, car elle sait donner de la chair aux puissants, cibler leurs grandeurs et leurs petitesses. Et côtoyer les « beautiful » ou « successful » people n’a jamais fait tourner la tête à celle qui a la réputation d’être une bonne camarade au boulot, où elle est présidente de la société des rédacteurs du Monde. Elle a choisi ses proies. D’abord, les politiques et notamment tous les Premiers ministres hormis Jacques Chirac pour la série documentaire de 2008 L’enfer de Matignon… Les artistes, ensuite de Catherine Deneuve à Gérard Depardieu via son dernier livre Une Affaire très française (Albin Michel) coécrit avec son collègue du Monde Samuel Blumenfeld. Et les magnats du CAC 40, les Bolloré, Pinault et autres Arnault via Successions, cosigné avec Vanessa Schneider dans Le Monde à l’été 2022 et publié chez Albin Michel. Le journal touche alors 50 % des droits d’auteur. Cet été, elle dévoilera les secrets des Saadé, Wertheimer (propriétaires de Chanel), Rothschild, Ricard et Leclerc. Quand on lui demande comment elle choisit ses sujets, elle lâche d’un grand éclat de rire : « Ceux que j’aime, ce sont les monstres ». Plus candidate à enquêter sur Poutine que sur Zelensky.
Écrivaine de nuit
« En dehors de son talent d’enquêteuse formidable et de ses qualités d’excellente journaliste, elle est très chaleureuse et irradie une belle joie de vivre », assure Jean-François Kahn qui l’avait embauché à L’Événement du Jeudi. « Elle a une plume très souple et un sens de la psychologie. Elle sait se tenir à bonne distance des événements et en cela, elle est vraiment journaliste », ajoute Jean-Michel Aphatie, avec lequel elle a débuté au Parisien, « passé d’un journal de concierge au quotidien des classes moyennes ».
Elle débarque en 1988 au Monde : « J’étais la seule alors en mini-jupe avec des talons hauts ». On n’est pas surpris d’apprendre que sa sœur est psychologue, que sa mère se rêvait en journaliste et qu’elle adore Balzac version Splendeurs et misères des courtisanes. Comme l’auteur de La Comédie humaine, elle écrit la nuit depuis la naissance de ses enfants qui ont aujourd’hui 27 et 24 ans. Ils moquent gentiment son rire sonore et sa façon de parler, tandis que ses amis notent qu’elle s’arrange pour ne jamais rien dire d’elle. « Je me cache derrière les autres », avoue celle qui a traversé il y a dix ans l’épreuve d’un cancer du sein. Jusqu’ici, elle n’en avait jamais pipé mot. Certains ont deviné. Mais n’ont pas osé lui en parler. « Je n’ai rien dit au journal et je faisais mes papiers en même temps que je suivais ma chimio à la Salpêtrière ». Après avoir circulé pendant 25 ans avec le vélo légué par son père, elle s’est mise à la marche. Elle bâtit ses papiers en battant le pavé, pour aller vers son cours de barre au sol, sa nouvelle résolution. Furieusement normale.
Parcours
1987. Diplômée de Sciences Po Paris.
1988. Diplômée du Centre de formation des journalistes, elle débute à l’AFP.
1992. Elle quitte France Soir où elle a rencontré son futur mari, Denis Saverot, journaliste comme elle pour Le Parisien.
1997-1999. Recrutée par Jean-François Kahn à L’Événement du Jeudi, après avoir démissionné du Parisien par solidarité avec son chef Fabien Roland-Lévy.
Depuis 1988. Grand reporter au Monde.