Alors que les podcasts sur la santé mentale se sont multipliés depuis le covid, des experts de ces sujets remettent en question leur légitimité.
Développement personnel, coaching, problèmes psychiques… Les podcasts sur le bien, ou le mal-être, font partie des plus écoutés en France depuis le Covid mais certains se revendiquent thérapeutiques sans légitimité, s’inquiètent des observateurs. Si, sur les réseaux sociaux, les fausses informations ont le champ libre, « le marché des podcasts est plus partagé », constate Pierre de Bremond d’Ars, médecin généraliste et président du collectif de soignants No FaKeMed. Il se félicite du succès des émissions scientifiques de France Inter ou France Culture et salue le podcast « Méta de choc » d’Élisabeth Feytit, lancé en 2019, qui alerte notamment sur les dérives des thérapies parallèles.
Les grosses machines s’appellent « Métamorphose, éveille ta conscience ! » (4e podcast le plus écouté en 2023, avec 1,16 million de téléchargements mensuels en moyenne, selon l’Alliance pour les chiffres de la presse et des médias, l’ACPM) ou « Émotions » (371.305 téléchargements en mars 2024). Ce dernier est né en 2019. Ses fondatrices, les journalistes Charlotte Pudlowski et Mélissa Bounoua, ont constaté qu’il « manquait un média sérieux » sur ce thème alors qu’il y a « un vrai besoin », un Français sur cinq étant touché dans sa vie par des troubles psychiques, explique cette dernière à l’AFP.
Mais nombre de ces contenus comme « Les maux bleus » (2021), « Encore heureux » (2022), sont apparus après la pandémie et ses conséquences sur la santé mentale des Français.
Connaissances scientifiques et pseudosciences
Les luttes féministes, écologistes et antiracistes aussi ont « attiré les projecteurs sur la notion de bien-être », précise à l’AFP la journaliste Lauren Bastide, qui a lancé « Folie douce » en février. Celle-ci reçoit des personnalités qui « lèvent un tabou » en parlant de leur santé mentale. Comme Mélissa Bounoua, elle insiste sur son « travail de journaliste » : « je ne suis pas coach ou psychologue ».
Dans « Métamorphose », Anne Ghesquière invite depuis 2019 des philosophes, psychiatres ou théologiens. « Des experts qui ont pignon sur rue », assure-t-elle à l’AFP, citant les médiatiques psychiatres Christophe André et médecin Frédéric Saldmann. L’auteure de « Va, vis et deviens conscient de toi-même » (Eyrolles, 2023) revendique une « biodiversité de paroles » avec des garde-fous : elle ne traite pas de pathologies mentales.
Mais cette « vision holistique » irrite Élisabeth Feytit car « elle brouille les pistes entre les connaissances scientifiques et des pseudosciences comme la sophrologie, la naturopathie, la numérologie, la psychogénéalogie ». Certains podcasts véhiculent « beaucoup de choses fausses et dangereuses », alerte la créatrice de « Méta de choc », qui rappelle que « Métamorphose » a reçu le psychiatre Olivier Chambon, adepte du chamanisme qui remet en cause la pharmacopée psychiatrique, ou le crudivoriste Thierry Casasnovas, mis en examen pour exercice illégal de la médecine.
« Métamorphose » n’a « pas vocation à remplacer une consultation », martèle Anne Ghesquière, qui revendique plus de 72 millions d’écoutes.
« Gourous 2.0 »
Élisabeth Feytit pointe aussi « La vie suffit » de Chloé Bloom, suivie par 335.000 personnes sur Instagram. L’influenceuse y « propose toutes les pratiques à la mode » (hypnose, méditation ou isolement sensoriel) qui « peuvent porter atteinte à la santé mentale », selon elle. Contactée par l’AFP, Chloé Bloom n’a pas réagi.
La Miviludes, qui lutte contre les dérives sectaires a indiqué à l’AFP n’avoir reçu aucun signalement concernant « Métamorphose » ou « La vie suffit ». Elle soulignait toutefois, fin 2022, le risque de dérives de la méditation de pleine conscience et du développement personnel, « en particulier chez les personnes souffrant de pathologies psychiques ».
« La crise sanitaire a constitué un catalyseur à travers une prolifération de nouveaux acteurs », ces « gourous 2.0 » « maîtrisant le web et ses codes » et « exploitant les peurs, la perte de repères », explique l’organisme. Le marché des podcasts, lui, progresse : 306 millions de téléchargements en France en 2023, soit 9 % de plus qu’en 2022 et 436 nouveaux podcasts sur les 842 certifiés, selon l’APCM.
Or « les contrôles sont plus difficiles qu’avec l’écrit. Il n’y a pas de moyen de tout vérifier à grande échelle », constate Pierre de Bremond d’Ars. Les auditeurs peuvent cependant adresser un signalement à l’Arcom, le régulateur de l’audiovisuel -- dotée d’un Observatoire des podcasts depuis 2022 -- ou aux diffuseurs (Apple, Google, Spotify…). Les podcasts gratuits sont financés par la publicité. « Folie douce » propose aussi des versions payantes de sa newsletter, « Métamorphose » et Chloé Bloom font la promotion de leurs coachings.