L'Assemblée nationale a approuvé, jeudi 2 mai, la création d'une commission d'enquête parlementraire sur les « abus et violences » dans les secteurs du cinéma, de l'audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité.
« Il est temps d'arrêter de dérouler le tapis rouge aux agresseurs », affirme la résolution votée à l'unanimité, initiée par la député Francesca Pasquini (goupe Ecologistes-Nupes). La commission répond à une demande de l'actrice Judith Godrèche, présente dans les tribunes de l'Assemblée ce jeudi, devenue l'une des figures de la lutte contre les violences sexuelles sur les mineurs depuis qu'elle a porté plainte contre les cinéastes Benoît Jacquot et Jacques Doillon pour des violences sexuelles et physiques qui remontent à son adolescence. Une enquête préliminaire a été ouverte à Paris contre les deux réalisateurs, qui ont réfuté par la voix de leurs avocats respectifs les accusations lancées contre eux.
« Il faut que cette commission soit menée à bien. C'était extrêmement émouvant d'entendre ces mots dans un lieu où on fait les lois, alors qu'il y a une absence de la loi sur les tournages », a réagi Judith Godrèche auprès de l'AFP après le vote des députés. En février, la comédienne avait interpellé le monde du cinéma lors de la cérémonie des César : « Je parle, mais je ne vous entends pas », avait-elle lancé, rêvant d'une « révolution » en pleine vague de libération de la parole dans le cinéma français. Elle a poursuivi son combat en demandant, d'abord au Sénat puis à l'Assemblée, la création d'une commission d'enquête, prenant exemple sur celle qui a travaillé au Palais Bourbon sur le monde du sport.
« Mécanismes et les défaillances »
La commission d'enquête devra « évaluer la situation des mineurs évoluant au sein des secteurs du cinéma, de l'audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité », mais aussi des majeurs, après que la Commission des affaires culturelles a étendu le champ d'investigation envisagé. Elle devra « identifier les mécanismes et les défaillances qui permettent ces éventuels abus et violences », « établir les responsabilités de chaque acteur en la matière », et « émettre des recommandations sur les réponses à apporter ».
Francesca Pasquini a salué le vote de ses homologues, disant avoir hâte que la commission se mette au travail et « pass(e) à l'action ». « Nous serons avec mes 30 collègues qui feront partie de cette commission d'enquête très attentifs et très déterminés pour qu'elle puisse signer la fin de l'omerta, la fin de la culture du silence et apporter des solutions concrètes. Il est temps d'arrêter de dérouler le tapis rouge aux agresseurs ».
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Le monde du cinéma est traversé par des affaires concernant plusieurs cinéastes (Roman Polanski, Jacques Doillon, Benoît Jacquot...) et acteurs ( Gérard Depardieu, Samuel Theis..), alors que Luc Besson et Ary Abittan ont bénéficié d'un non lieu. Le président du Centre national du cinéma, Dominique Boutonnat, a lui-même été mis en examen pour agression sexuelle contre son filleul - le parquet n'ayant pas retenu la qualification de tentative de viol. Il devrait être jugé le 14 juin devant le tribunal correctionnel de Nanterre. La CGT-spectacle avait appelé à sa démission en octobre 2022, et le collectif 50/50, qui milite pour l'égalité, la parité et la diversité dans le cinéma et l'audiovisuel, avait déploré sa reconduction à la tête de l'institution, en juillet 2022.
Du côté de la télévision, les accusations portent principalement contre Patrick Poivre d'Arvor, sur lequel une information judiciaire à été ouverte pour des violences sexuelles élargies à deux viols et une agression sexuelle, après la parution d'un livre de Florence Porcel. L'ancien présentateur de TF1 a été mis en examen en décembre dernier. 22 femmes ont été entendues par la justice, et dix d’entre elles ont déposé plainte dans le cadre de l’enquête préliminaire ouverte en décembre 2021. De son côté, l'enquête pour viol et agression sexuelle sur mineur visant l'ancien ministre et ex-animateur de TF1, Nicolas Hulot, a été classée sans suite en septembre 2022.
Dans la publicité, le MeTooPub a fait ressortir plusieurs témoignages d'abus sexuels ou sexistes dans les agences. L'an dernier, la deuxième vague du baromètre du harcèlement sexiste, sexuel et moral dans l'industrie publicitaire, menée par l'AACC avec Opinion Way, faisait encore ressortir des chiffres élevés mais en baisse sur deux ans. 49% n’ont pas dénoncé des agissements sexistes ou sexuels subis, 31% ont déjà été témoins de harcèlement sexiste (- 6 pts) tandis que 18% en ont déjà été victimes (-6 pts). 16% ont déjà été témoins de harcèlement sexuel (-4 pts), 8% en ont déjà été victimes, (-1 pt).
Conclusions en novembre
La commission d'enquête doit être formée le 13 mai, et commencer ses auditions le 20 mai, selon Francesca Pasquini. Elle devrait rendre ses conclusions six mois plus tard, en novembre.
Sa création intervient au lendemain de la parution d'un livre de l'actrice Isild Le Besco, où elle revient longuement sur la relation avec Benoît Jacquot, entamée quand elle avait 16 ans. Si elle l'accuse de l'avoir violée, elle affirme ne pas être prête à porter plainte contre lui.
Francesca Pasquini a rappelé dans son intervention l'ampleur des violences sexuelles dans la société française, avec 160.000 mineurs victimes tous les ans selon l'estimation de la Ciivise, la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants, et 84.000 femmes, selon le ministère de l'Intérieur.