Les négociations de l'UE autour de la « loi sur la liberté des médias » atteignent un point critique. La France et d'autres pays insistent sur l'inscription d'une exception à l'interdiction de surveiller les journalistes pour des raisons de « sécurité nationale ». Les défenseurs de la liberté de la presse s'opposent vigoureusement, craignant des abus potentiels.
L'Union européenne espère trouver un accord vendredi 15 décembre sur sa « loi sur la liberté des médias » mais l'insistance de plusieurs pays - dont la France - à inclure une exception à l'interdiction de surveiller les journalistes au nom de la « sécurité nationale » inquiète la profession. Ce projet de règlement a été présenté en septembre 2022 par la Commission européenne pour protéger le pluralisme et l'indépendance des médias, face à une détérioration de la situation dans des pays de l'UE, comme la Hongrie et la Pologne, mais aussi aux logiciels espions utilisés contre des journalistes.
Le texte porte notamment sur le respect du secret des sources journalistiques et sur l'interdiction de déployer ces logiciels espions, de type Pegasus ou Predator, dans des appareils utilisés par des journalistes. Mais les États membres, à la demande de la France soutenue par plusieurs pays, ont tenu à inclure explicitement des possibilités d'exceptions « au nom de la sauvegarde de la sécurité nationale ».
À la veille d'une séance de négociations vendredi 15 décembre à Bruxelles entre des représentants du Parlement européen, des États membres et de la Commission, une cinquantaine d'organisations de défense de la liberté de la presse --syndicats et sociétés de journalistes de nombreux médias-- en France ont appelé le président Emmanuel Macron à ne pas « torpiller » le secret des sources et à « retirer cette dérogation ».
Pour Reporters sans frontières (RSF), « cette disposition pourrait être utilisée de manière abusive ». « Outre la Finlande et la Suède, la France est rejointe sur cette position par des États où la liberté de la presse connaît des vicissitudes et où, parfois, les journalistes ont pu être inquiétés par les autorités : la Hongrie, l'Italie, la Grèce, Chypre et Malte », déplore RSF. Révélant une contribution aux débats, datée du 6 novembre, issue des ministères français des Armées et de l'Intérieur, RSF assure que ces derniers « veulent garder la possibilité de surveiller des journalistes » notamment « pour identifier agents et officiers de services de renseignement étrangers ».
La Fédération européenne des Journalistes a appelé le Parlement européen et la Commission « à rejeter la demande illibérale et répressive » des sept États membres. La représentante de l'OSCE pour la liberté des médias Teresa Ribeiro s'est aussi inquiétée de voir une telle exception « affaiblir l'objectif » de la législation. Le Parlement européen prévoit lui que l'utilisation de logiciels espions à l'encontre de journalistes ne puisse être autorisée qu'« en dernier recours » et « au cas par cas » par un juge dans le cadre d'une enquête pour un « crime grave tel que le terrorisme ou la traite des êtres humains ».
Pour les eurodéputés, la loi doit « interdire l'utilisation de logiciels espions dans des enquêtes qui concernent l'activité professionnelle de médias et de leurs employés », avait précisé en octobre l'élue roumaine Ramona Strugariu, l'une des rapporteures du texte. Autre point crucial de la législation: la question de la modération des contenus journalistiques par les plateformes en ligne. Afin d'éviter que ces plateformes ne suppriment ou restreignent arbitrairement des articles ou des reportages vidéo, la loi prévoit un traitement à part pour les médias remplissant un certain nombre de conditions.
La loi prévoit par ailleurs la mise en place d'un nouveau Conseil européen des médias, composé des représentants des autorités nationales de régulation des Vingt-Sept, pour un encadrement plus strict des concentrations dans ce secteur. Cet organisme serait chargé d'émettre un avis -non contraignant- sur ces opérations du point de vue de leur effet sur le pluralisme.