Le groupe Canal + veut faire de son soutien au 7e art français un avantage compétitif par rapport aux autres plateformes.
C’est un détail, mais qui en dit long. La future plateforme de streaming de TF1, qui sera lancée le 8 janvier et permettra de s’identifier individuellement sur les télévisions connectées comme sur les box, s’appellera TF1+. « Plus » comme Disney+, AppleTV+ et… Canal+. Aux rencontres de l’ARP [Société civile des auteurs, réalisateurs et producteurs], le 9 novembre, Maxime Saada, président du directoire du groupe Canal +, a évoqué l’époque où l’arrivée de Netflix et de ses séries premium comme House of Cards n’était perçu, à TF1, que comme une menace pour le groupe de télé à péage. « Puis les plateformes ont fait du binge, des rendez-vous très proches de la télé, du flux et enfin des modèles publicitaires », note-t-il.
En clair, les Netflix, Disney+ et autre Prime Video concurrencent désormais directement les groupes audiovisuels français. Et pour se différencier, quoi de mieux pour les acteurs hexagonaux que de s’appuyer sur le 7e art qui fait preuve en France d’un grand dynamisme avec 208 films agréés en 2022, grâce au soutien public du CNC, aux Sofica et à ses deux diffuseurs principaux : Canal+, qui y investit plus de 200 millions d’euros (« 70 à 80 millions d’euros au-dessus de nos obligations », selon Maxime Saada) et France Télévisions, qui le finance à hauteur de 60 millions d’euros.
Pour le patron de Canal +, le cinéma a « beaucoup de valeur ». « C’est un choix de différenciation par rapport aux plateformes, reprend-il, et il n’y a pas trop de films car c’est pour cela que l’on en a de bons ». Le groupe cherche d’ailleurs à proroger son accord dans le cinéma pour « cinq ans ou plus » et, si l’opération de rachat d’OCS est validée en fin d’année par l’Autorité de la concurrence, à aller au-dessus des 200 millions d’euros d’investissement. Par rapport à la Ligue 1, qui a selon lui « détruit de sa valeur » et pour laquelle Canal n’est pas candidat, le 7e art français est aussi un facteur important de singularité pour séduire les fans de cinéma et de séries.
«Pour une coexistence pacifique»
Le groupe public, qui a coproduit 63 films en 2022 à travers ses deux filiales cinéma, souhaite aussi monter en puissance dans les œuvres exposées en streaming. Un décret de 2017 l’autorise à exposer 50 œuvres sur sa plateforme (France.tv) contre 250 en hertzien et, pour les films qu’il a préfinancés, à les diffuser sur une durée maximale de sept jours. C’est également le cas de TF1 qui préfinance 17 films par an et qui, comme le groupe public, a passé en 2021 de 3,2 % à 3,5 % de son chiffre d’affaires son investissement en faveur du cinéma français et européen. Le patron des programmes de France TV, Stéphane Sitbon-Gomez, plaide d’ailleurs pour une « coexistence pacifique » entre diffuseurs, se disant « favorable à ce qu’on étende la publicité pour les chaînes privées » en faveur des distributeurs.
La bonne santé du cinéma français se mesure à une part de marché de 38,5 %, sur plus de 200 millions d’entrées en salles attendues en 2023, à un niveau pré-covid. Elle permet à la filière de faire le marketing de ses films et de représenter ta troisième offre de cinéma sur les plateformes de streaming, derrière les États-Unis et l’Inde. Pour l’heure, les offres des « streamers » n’apportent qu’un quart des fonds nécessaires au cinéma en France. Mais demain ? Une éventuelle consolidation entre les mains d’une seule plateforme américaine pourrait donner à un producteur exécutif à ses ordres un pouvoir exhorbitant.