Concurrencées par les plateformes de streaming et les studios de podcasts, et alors que l’audience globale du média baisse, les radios s’appuient sur les contenus et les outils numériques pour innover et tenter de continuer à séduire leurs auditeurs. Un article également disponible en version audio.
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Depuis plus de dix ans, la radio voit son audience baisser régulièrement. L’audience cumulée du média est passée de 43,2 millions d’auditeurs sur la période septembre 2012-juin 2013 à 39,7 millions pour la période janvier-mars 2023, selon Médiamétrie. « Dans un univers audio où la concurrence de nouveaux médias est importante, malgré une tendance à la baisse, la radio reste toutefois un média de masse écouté par sept personnes sur dix », relativise Emmanuelle Le Goff, directrice radio et total audio chez Médiamétrie.
L’audio au global connaît une dynamique significative avec l’envolée de l’écoute du streaming musical et des podcasts, notamment depuis les confinements liés au covid. « L’écoute de la radio est évidemment impactée par les évolutions des habitudes de vie, la baisse des déplacements en voiture et les nouvelles formes de mobilité urbaine, mais la radio reste un pilier de l’audio avec 58 % du volume total de la consommation audio chaque jour », argumente Emmanuelle Le Goff.
Personnalisation de l'offre
Face à la concurrence de nouveaux acteurs audio – plateforme de streaming, éditeurs de podcasts… –, les groupes radio doivent donc faire preuve d’innovation. Et c’est principalement via les canaux digitaux que les radios explorent de nouvelles voies. Car malgré la baisse du média radio, l’écoute sur les supports digitaux ne cesse de progresser. « Sur le hertzien, il est difficile d’innover », constate Sébastien Ruiz, head of AudioM (GroupM). « La radio est le média de l’habitude ; faire bouger une grille est toujours risqué : il est plus facile de perdre des auditeurs que d’en gagner. Les éditeurs utilisent alors la souplesse du digital pour installer une complémentarité d’offres », détaille-t-il.
« Dans une radio historique, il faut innover en permanence, tout en ménageant le cœur du métier et les programmes installés. Ça peut parfois être schizophrène », reconnaît Emmanuel Dupouy, directeur de la stratégie digitale du groupe NRJ. « Le digital est devenu le cœur du réacteur pour tous les médias traditionnels, rappelle Alix de Goldschmidt, head of product & innovation à M6 (RTL, RTL2 et Fun Radio). C’est un accélérateur de tendances qui permet d’anticiper les évolutions d’usages, mais cela permet aussi aux radios de proposer un contenu personnalisable. »
La personnalisation des contenus est, en effet, l’une des opportunités offertes par la digitalisation de la radio. « Pour les radios, l’enjeu d’innovation consiste à offrir des programmes plus pointus à une partie de leur public », analyse Sébastien Ruiz. « L’un de nos principaux axes d’innovation réside dans la déclinaison des radios historiques en linéaire avec des radios digitales et en délinaire avec les podcasts », confirme Emmanuel Dupouy, chez NRJ. Le groupe a porté la personnalisation à l’extrême avec plus de 130 radios digitales, aussi diverses que NRJ Party Hits, Chérie pour chanter ou Nostalgie Stars 80… La personnalisation passe aussi par la rediffusion de séquences d’émissions permettant une consommation à la demande facilitée. Ainsi, RMC tire des quatre heures de son émission quotidienne L’After foot des dizaines de contenus vidéo ou podcast.
Des applis évolutives
Alors que l’offre audio digitale est devenue pléthorique et que les Gafam contrôlent les principaux canaux de diffusion, les groupes de radio ont aussi développé des applications pour les smartphones afin de maîtriser la diffusion de leurs contenus. « La radio est hyper distribuée sur internet ; nous considérons donc comme stratégique d’avoir la main sur nos contenus en ligne », rappelle Alix de Goldschmidt du côté de M6. Un constat déjà fait il y a plusieurs années par Radio France. La radio publique a, en effet, été parmi les premières à proposer une appli mobile.
« Aujourd’hui, il faut être dans la poche de l’auditeur, qui veut nous écouter à tout moment, que ce soit en linéaire avec la radio digitale ou en délinaire via les podcasts », explique Emmanuel Dupouy, de NRJ. Depuis mai dernier, tous les contenus des radios du groupe (NRJ, Chérie FM, Rire & Chansons) sont disponibles via une nouvelle application qui « favorise la découverte de programmes au sein d’une marque, mais aussi d’une marque à l’autre ». Du côté de M6/RTL, l’application lancée il y a trois ans a été totalement refondue début 2023 pour regrouper l’ensemble des contenus audio et développer l’interactivité avec les auditeurs. Elle permet à l’auditeur de choisir les radios digitales qu’il veut mettre en avant, ses thématiques préférées ou de recevoir des notifications d’émissions.
Pionnier du développement des applis radio pour smartphones, Radio France a, en novembre 2022, totalement remis à plat sa méthode de recommandation de contenus ; celle-ci ne repose désormais plus seulement sur un algorithme numérique mais aussi sur les choix de l’équipe éditoriale. « L’humain est au cœur de nos préoccupations ; nous devons favoriser la diversité des contenus et éviter la dictature du clic imposée par les plateformes », argumente Laurent Frisch, directeur du numérique et de la production de Radio France. La modification de la méthode de recommandation « a permis d’augmenter le nombre d’écoutes et a aussi généré de l’abonnement à des podcasts », se réjouit-il.
Les réseaux sociaux, un rôle central
Alors que les réseaux sociaux jouent un rôle central dans la consommation des contenus numériques, il était normal que les radios utilisent ces canaux pour prolonger le lien avec le public. RMC ou Skyrock ont, par exemple, investi efficacement les nouveaux réseaux comme Twitch. « Skyrock est devenu un réseau et est multi-présent sur toutes les interfaces, plateformes et réseaux sociaux, non seulement avec son programme amiral, mais par ses variantes, ses émissions différées et ses vidéos longues ou courtes », avance Pierre Bellanger, fondateur et président de la radio musicale.
« L’interactivité avec le public est la nature de Skyrock », rappelle-t-il en citant l’exemple de l’émission Radio Libre de Difool. Désormais, C/réel et Planète Rap s’inscrivent dans cette logique sur Twitch ou sur YouTube. « Aujourd’hui, Skyrock touche chaque jour bien plus de 13-24 ans que lorsque la radio était, au début de ce siècle, le seul média accessible à la nouvelle génération », se félicite-t-il. La radio musicale compte plus de 17 millions d’abonnés sur ses réseaux et a cumulé plus de 3 milliards de vues en dix ans sur YouTube.
La radio et la révolution IA :
Comme beaucoup d'autres pans de l'économie, les radios n'échappent pas à la « révolution » de l’intelligence artificielle. En avril dernier, la société Futuri lançait aux États-Unis Radio GPT, un générateur de contenus radio piloté par l’IA générative. « L’intelligence artificielle, c’est le sujet du moment », constate Alix de Goldschmidt, head of product & innovation à M6. Fun Radio a diffusé le 3 février 2023 une émission intégralement conçue par ChatGPT, où tous les textes de l’émission de Cartman ont été rédigés par l’IA, qui a aussi assuré la programmation musicale. Chez NRJ aussi, l’IA est sollicitée : une nouvelle webradio, élaborée par une IA, est en phase de test. « Faire intervenir un robot à l’antenne, est-ce la solution ?, s’interroge Sébastien Ruiz, head of AudioM (GroupM). Je ne le pense pas. L’auditeur n’écoute plus les radios musicales seulement pour découvrir des musiques - fonction remplie de façon performante par les plateforme de streaming. Il veut de l’humain, de l’émotion. » Partant du même constat, Laurent Frisch, directeur du numérique et de la production de Radio France, est catégorique : « Utiliser l’IA pour la programmation est une hérésie. Les programmes élaborés par une IA ne parlent pas à notre cœur ou à nos tripes. Notre enjeu est justement de ne pas laisser le public à la merci de la technologie. »
Trois questions à Marie Renoir-Couteau, présidente de la commission publicité du Bureau de la radio
Comment l’évolution des habitudes de vie impacte-t-elle l’écoute de la radio ?
Les habitudes de vie ont été totalement bouleversées ces dernières années. Le télétravail et les nouvelles formes de mobilité sont autant d’occasions de découvrir - ou de déserter - un média. Malgré ces bouleversements majeurs, l’audience globale de la radio a été peu impactée, notamment grâce aux contenus digitalisés. Le numérique offre une occasion unique de multiplier la distribution de la radio, tout en améliorant l’expérience utilisateur.
Quels sont les axes d’innovation de la radio et quel rôle joue le numérique ?
La radio est en perpétuelle évolution et ne cesse d’inventer et d’innover. Le numérique a apporté de nouvelles opportunités ; les domaines d’innovations sont nombreux. Tout d’abord, les formats et les contenus : la radio propose chaque année des émissions novatrices et des approches créatives du journalisme. Ensuite, la radio s’adapte à l’évolution des supports de diffusion comme les enceintes connectées. La radio innove aussi dans le domaine de la production sonore et enrichit l’expérience d’écoute de l’auditeur.
Quel rôle jouent les applis mobiles ?
Les applications offrent une multitude de contenus complémentaires : les programmes radio en direct ou en replay, des podcast natifs ou des radios digitales qui répondent à toutes les attentes d’information, de talk ou de musique, selon vos besoins ou votre humeur du moment.