Correspondante de la chaîne d'information américaine à Paris, Mélissa Bell et ses équipes consacrent des duplex et des sujets de fond aux événements qui se déroulent à Nanterre et en Île-de-France depuis le 27 juin. Stratégies l’a interrogée.
Depuis Paris, comment la chaîne CNN rend-elle compte de l’ampleur des événements suscités par la mort de Nahel, tué le 27 juin par un policier à Nanterre, après un refus d’obtempérer ?
Mélissa Bell : Au quotidien, c’est le bureau de CNN situé à Hong Kong qui nous tient informés des dernières informations qui tombent dans la nuit. Ce matin-là, les équipes ont pris conscience qu’il s’agissait bien plus que d’un fait divers. Nous avons rapidement mesuré l’ampleur de cette actualité, mais aussi du mouvement et de la colère qui ont touché Paris et plus largement l’Île-de-France. Cette actualité a notamment été relayée dans des primes de chaînes de télé américaines qui ont duré en moyenne entre quatre et cinq heures (de 21h jusqu’à 2h/3h du matin).
Concrètement, comment avez-vous couvert les événements depuis le 27 juin ?
Notre couverture a été assez complète et nous continuons de couvrir cette actualité. L’ADN de CNN, c’est le direct, le «breaking news». Nous avons donc réalisé des duplex depuis l’avenue des Champs-Élysées, le centre de Paris, du matin jusqu’au soir. Mardi 27 juin à 11h, nous étions déjà en direct en bord de Seine pour tourner un sujet en lien avec Paris 2024. À ce moment-là, la vidéo [du contrôle policier mené le 27 juin à Nanterre, au cours duquel un policier a tiré sur l'adolescent, filmée par un témoin, ndlr] tournait sur les réseaux sociaux. Nous avons donc déjà une idée de ce qu’il a pu se passer ; la scène étant d’ailleurs très choquante.
De plus, il y avait des débuts de soupçons autour de la vraie version des faits des policiers présents lors de la scène. Nous avions donc plusieurs éléments pour réaliser notre premier direct sur le sujet. Nous ne nous sommes pas déplacés à Nanterre le premier jour des faits car les journalistes étaient pris pour cible. Nos équipes filmant avec une caméra sont moyennement mobiles. Nous avons ensuite regagné notre bureau puis continué de tourner des duplex depuis le centre de Paris, mais aussi des sujets montés. Le public, qu’il soit américain ou international, n’a pas forcément les clés pour comprendre le contexte, il était donc important de le rappeler et de suivre l’actualité sur un temps plus long. Dès le jeudi 29 juin - jour de la marche blanche -, un confrère du bureau de Londres nous a rejoints. Par sécurité, nous avons tourné un duplex sur la marche blanche depuis l’avenue des Champs-Élysées.
Vous parlez de contexte. Justement, dans quel(s) contexte(s) le bureau parisien de CNN replace-t-il la couverture de ces faits d’actualité ?
Je fais référence au contexte historique de la France. Ces dernières années, le pays a enregistré de nombreuses violences policières, parfois meurtrières. À cela s’ajoute un contexte de soupçons de racisme systémique. Et notre travail de journaliste est d'expliquer les difficultés de ces rapports entre les forces de l’ordre et les habitants, des complications qui peuvent se dérouler lors d’un contrôle d’identité par exemple. Puis, il y a le contexte juridique et légal dans le cadre de la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905. Pour les institutions et une partie de la classe politique françaises, il paraît compliqué de se confronter à d’éventuels problèmes de racisme et de discriminations raciales dans la police française. Nous le voyons aussi du côté de certains médias français. En tant que média américain, nous ne sommes pas donneurs de leçons. Chaque pays a son histoire et ses traumatismes. Mais ces deux contextes français doivent être expliqués au reste du monde.
Pour décrire ces faits d’actualité, la presse française parle «d’émeutes» et de «violences urbaines». Quels sont les termes employés par le bureau parisien de CNN ?
Nous avons employé les termes de «contestations», de «contestations violentes», d'«unrest» («troubles» en français), et de «nuit de violences» dans une moindre mesure. Selon moi, employer le terme «urbain» revient à «ghettoïser» le problème.
Qu’est-ce qui vous a le plus frappée dans ces événements ?
Avec le recul, ce qui a fait que nous avons été pris au dépourvu, et je pense que nous n’étions pas les seuls médias, c’est l’ampleur du mouvement. Nous ne nous y attendions pas. Pourquoi est-ce la mort de Nahel qui a entraîné ces contestations ? À titre de comparaison, les manifestations des Gilets jaunes et celles contre la réfome des retraites s’inscrivaient davantage dans une culture française, celle de manifester.