La nomination de Geoffroy Lejeune au Journal du dimanche contre l’avis de la rédaction apporte un nouvel élément à l’enquête de Bruxelles sur une prise de contrôle anticipée par Bolloré.
Élisabeth Badinter, Pierre Lescure, Antoine Gallimard, Patrice Duhamel, Franck Annese… Plus de 400 personnalités ont signé, le 26 juin, la tribune du Monde titrée « “Le JDD” ne peut devenir un journal au service des idées d’extrême droite ». Huit anciens directeurs du journal ont aussi apporté leur soutien aux salariés en grève après la nomination à la tête de la rédaction de Geoffroy Lejeune, venu de Valeurs actuelles et fervent soutien d’Eric Zemmour pendant la campagne présidentielle. Et ce ne sont pas les propos d’Arnaud Lagardère, assurant dans Le Figaro que Le JDD ne sera jamais un « journal militant », qu’il s’agit là d’un « choix économique et pas du tout idéologique », où nul de Vivendi « n’a été impliqué », qui rassurent la rédaction : chacun a bien compris que l’héritier n’a plus la pleine maîtrise de son groupe même s’il en reste président. Jérôme Béglé, habitué des plateaux de CNews, qui dirigeait Le JDD, rejoint de son côté Paris Match, à la place de Patrick Mahé.
Si Arnaud Lagardère monte au front, c’est aussi que ces changements prennent un tour de plus en plus en plus politique. Et l’OPA n’est pas actée. Le feu vert de Bruxelles est assorti de deux conditions : la cession d’Editis, pour laquelle un accord a été signé avec Daniel Kretinsky, et la vente de Gala, qui, elle, n’est pas faite (une short list de trois repreneurs potentiels a été établie).
Or la Commission enquête sur une prise de contrôle anticipée de Lagardère (« gun jumping »), que Reporters sans frontières veut voir évoluer en « enquête approfondie ». L’ONG, qui organisait mardi 27 juin un meeting de soutien au JDD, parle « d’OPA sur l’indépendance des médias concernés » et réfléchit à un recours juridique, selon son secrétaire général Christophe Deloire. Pour elle, plusieurs éléments attestent d’une mainmise avant l’heure sur Lagardère News.
D’abord l’éviction d’Hervé Gattegno, qui dirigeait Le JDD et Paris Match, après une une montrant Eric Zemmour et sa conseillère, pour laquelle Vincent Bolloré aurait été consultée avant publication. Le journaliste est désormais témoin assisté dans l’affaire sur la rétractation du témoignage de Ziad Takieddine à propos du financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007. Il avait organisé cette volte-face dans Paris Match alors même que Sarkozy est l’administrateur du groupe Lagardère et a été l’artisan de son rapprochement avec Bolloré.
Bruno Jeudy, ex-chef du service politique de Match, a été limogé, lui, après avoir protesté contre une couverture sur le cardinal ultraconservateur Sarah, accompagné de six pages signées Philippe Labro, alors même que la réélection de Macron n’a donné lieu à aucune une. Les bonnes feuilles d’un livre de François de Labarre sur le Vatican ont été retirées « par anticipation de ce que peut penser le futur actionnaire », selon un journaliste.
RSF rappelle que Paris Match s’intéresse au Festival de Venise quand Canal+ en devient partenaire, que CNews intègre les locaux de Lagardère de façon anticipée. Et décrit une « ambiance de chasse aux sorcières », qui a permis le licenciement d’une membre de la Société des journalistes de Match. Si Bruxelles n’a pas le pouvoir d’invalider l’OPA pour prise de contrôle anticipée, il peut imposer une amende pouvant atteindre 10% du CA.