Le 2 juin, France 3 diffusera en prime time L'Age d'or de la pub, un documentaire proposé par Thierry Ardisson. Deux heures et 400 spots de pubs en forme de Madeleines de Proust. L'homme en noir et sa co-autrice, Anne Saint-Dreux, fondatrice de la Maison de la Pub, reviennent sur 55 ans de publicité de marque.
Pourquoi ce documentaire sur l’âge d’or de la pub ?
Thierry Ardisson : J’ai pris beaucoup de plaisir dans la pub. J’avais envie de montrer le côté sans limite de la pub que j’ai connue. C’est une époque où la publicité était hyper star, où tous les gamins en parlaient dans la cour de récré, où il y avait des articles sur la pub dans la presse et même une émission sur la pub, « Culture Pub », animée par Christian Blachas [fondateur de Stratégies et Culture Pub].
Je n’ai pas proposé le programme à France Télévision comme un documentaire sociologique. Le plan du film est assez subjectif. L’idée étant : moi qui étais dans la pub, je vais vous expliquer comment la publicité vous séduisait : slogans, stars, humour, gimmick, grand spectacle, musique, sex-appeal, etc... J’ai refusé les témoignages. Je ne voulais pas montrer les sempiternels publicitaires, un peu vieux, un peu gros, nous expliquer que c’était mieux avant !
Thierry Ardisson, vous mêlez votre histoire à la grande histoire de la pub dans ce documentaire…
TA : J’étais créatif dans la pub, j’avais 22 ans, je gagnais 30 000 balles par mois… C’était comme Mbappé : on était bien payé, mais il fallait marquer des buts ! J’ai travaillé dans la pub parce que je ne savais rien faire d’autre. J’ai commencé avec des ouvertures de Prisunic…
La pub, ça m’a aidé : quand je suis arrivé à la télévision, je savais rationaliser la création, choisir quel levier actionner dans l’arbre stratégique… Ça a été mon université, ma grande école. Une autre façon de réagir, c’est celle de Beigbeder, auteur du par ailleurs excellent « 99 Francs », qui consiste à dire : «La pub, c’est le Grand Satan. » Moi, non.
Mon passage dans la publicité a été hyper positif. J’ai notamment travaillé avec des patrons comme Bill Tragos ou Uli Wiesendanger de TBWA. J’étais la petite starlette de l’agence avec des bottes en python, je fumais des joints et je n’arrivais pas avant midi… Un jour, Uli me commande une campagne. Je lui dis : «Mais j’ai seulement deux jours pour faire ça ?», et là, il me répond : «Non, tu as deux jours et deux nuits ! » (rires). Avec ce doc, je voulais rendre à la pub ce qu’elle m’a donné, mais aussi rendre hommage aux grands réalisateurs de pub comme Etienne Chatiliez, Jean-Paul Goude, Jean-Jacques Annaud…
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Certaines pubs mythiques de l’agence que vous avez co-fondée, Business [rebaptisée récemment New Business], figure dans le documentaire (Ovomaltine, Lapeyre, Chaussée aux Moines, Tropico…).
TA : J’ai fondé cette agence avec Eric Bousquet et Henri Baché, paix à ses cendres… Ce que nous y faisions, avec nos spots de 8 secondes dans lesquels était martelé le nom du produit, c’était de la néo-réclame, à la «Dubo, Dubon, Dubonnet» ! Eric avait créé la machine infernale, on matraquait nos spots tout un week-end… Ça cartonnait ! «Quand c’est trop, c’est Tropico», les gens m’en parlent encore dans la rue et j’en suis pas peu fier !
Quel est le corpus sur lequel vous avez travaillé ?
TA : Le doc, c’est 400 films de pub en deux heures, c’est un Niagara d’images, un stock de madeleines…
Anne Saint-Dreux : Nous avions un corpus de 1000 publicités au départ. Avec Thierry, nous avons cela en commun de porter un regard très bienveillant sur la publicité. Ce qui m’intéressait, c’est que l’axe que prenait Thierry Ardisson resegmentait mes connaissances, d'habitude lutôt à 360 ° en tant qu’experte....
Quels sont les jalons de cet âge d’or de la publicité ?
TA : L’âge d’or démarre à la fin des années 60, avec un spot Boursin en 1968, «L’Insomniaque», le 1er spot télé pour une marque. C’est l’époque de l’arrivée des agences américaines, c’est aussi le moment où le client devient un consommateur. L’âge d’or se termine vers le milieu des années 1990, avec l’apparition des cost-controllers. Ce que les gens aimaient bien dans la pub, c’est que c’était drôle, spectaculaire, dingue. Les cost-controllers ont tué tout ça. Ce qui a été le pire, c’est qu’au moment où les publicités ont coupé les programmes, ce qui était une récréation s’est transformé en punition.
ASD : La loi Sapin de 1993 a également freiné les agences, en jugulant, notamment, leurs ambitions géographiques.
Pourquoi n’avez vous pas démarré votre sélection avec ce spot de 1966, avec le poussin Pi-Piou, pour la promotion des petits pois ?
ASD : Pi-Piou, «On a toujours besoin d’un petit pois chez soi», c’était une campagne de la Sopexa. Ce n’était pas une marque, mais une collective. Le spot était très mignon, mais le problème, c’est que les gens achetaient une boîte de petit pois et la gardaient dans leur placard… Avec ce documentaire, nous avons voulu fêter les 55 ans de la publicité de marque. Même si nous montrons également des exemples de communication politique, comme ce clip inédit pour la campagne de Mitterrand, dans le sillage de « La Force Tranquille », une chanson entonnée par une jeune fille dans un champ. Je crois que le clip est resté une semaine en salles… On a dû préférer le retirer devant les moqueries…
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Avez-vous écarté certains spots, de peur de choquer le public d’aujourd’hui ?
TA : Nous n’avons pas édulcoré notre sélection. Le pire étant ce film de 1975 avec le boxeur Carlos Manzon sur un cheval pour Gini avec une fille complètement enfouie dans le sable qui lui tend une bouteille… (rires).
Quelles sont vos publicités favorites, que ce soit dans cette foisonnante rétrospective ou aujourd’hui ?
TA : Ma pub préférée, c’est une pub de TBWA pour les Handicapés Physiques dans laquelle on voit un type sur une chaise roulante qui dévisse le capot arrière d’un téléviseur, avec le slogan : «Ce que vous voyez sur cette image, c’est un téléviseur qui répare un homme.». Autre grande signature, Yves Saint Laurent Rive Gauche : «Pour ceux qui vivent avec talent». Plus récemment, j’ai adoré le spot Volkswagen de DDB, «Le Notaire». La pub n’est plus assez comme ça aujourd’hui, plus assez dans l’humour. On est davantage sur des films ésotériques pour des voitures électriques ou du hard discount… Un spot comme «Tu pousses le bouchon un peu trop loin, Maurice», on n’en mesure plus aujourd’hui le succès ! Les gens ne sont plus intéressés par la publicité. Parce que la publicité ne s’intéresse plus à eux.
ASD : J’aime beaucoup les lessives et les démonstrations produits, c’est mon dada ! On voit d’ailleurs que dans certains secteurs, le délire n’est pas payant du tout ! La pub «Rue Gama» pour les lessives Gama, qui entendait s’écarter des canons du genre avec sa chanson inspirée d’«A Paris» de Francis Lemarque, n’a d’ailleurs fonctionné qu’à partir du moment où l’on montrait bien que le boucher de la rue avait une tache de sang à faire disparaître… Dans certains secteurs, la créativité se heurte au besoin de rassurer.
TA : Ce que j’ai préféré, c’est rendre un hommage à ce grand compositeur de musiques de publicité qu’est Richard Gotainer. Avec les frères Engel, ils ont écrit de véritables tubes, comme «Belle des Champs», qui aurait pu être une chanson de Cabrel ou de Crosby, Stills, Nash & Young… Avec Gotainer, nous avons travaillé sur une pub jamais sortie. C’était un spot pour de la nourriture pour chien. Le client racontait qu’il s’agissait de vraie viande, et l’avait baptisé «Carnivore». Le film devait montrer un chien qui courait comme un loup dans la steppe, avec cette chanson conçue avec Gotainer : «Carnivore, Carnivore, Carnivore, tous les médors tombent d’accord !» (rires).
Le marketing a-t-il tué la pub ?
TA : Le marketing doit aider les créatifs, pas les censurer. Ce que le marketing m’a appris, c’est d’écouter les gens. J’ai été le premier à faire des études de marché sur mes émissions lorsque je suis arrivé à la télévision, avec dans la tête ce principe : «reason why/bénéfice». Ce sont vraiment des réflexes que j’ai gardés de la publicité…
L'Age d'or de la pub, vendredi 2 juin 2023 à 21 h 10 sur France 3.