Dans la géographie musicale française, Marseille est un territoire singulier qui apparaît comme la capitale du rap. Depuis plus de 30 ans, ce phénomène culturel et social y a trouvé une résonance particulière et profite aujourd’hui d’une reconnaissance de la part des pouvoirs publics.
De la formation du groupe IAM au collectif 13’Organisé, plus de trois décennies de rappeurs chantent une seule ville : Marseille. Jusqu’à JuL, devenu un porte-étendard de la cité phocéenne, présent dans tous les quartiers de la ville. Selon la sociologue Béatrice Sberna, spécialiste du genre musical, le rap a su puiser dans la culture locale : « Marseille s’est emparée de cette histoire de ghetto, de lutte anti-raciale, d’immigration qui faisait déjà partie de sa culture. Le rap a très vite collé à ce qu’était Marseille. » Le graff ou le street art en sont un autre aspect, peut-être un autre vecteur d’attractivité pour la ville. Plus globalement, Marseille tire-t-elle aujourd’hui avantage de ces identités culturelles pour valoriser son image ? Réponses avec Jean-Marc Copolla, adjoint au maire de Marseille en charge de la culture pour toutes et tous.
Pourquoi le rap est-il intimement lié à la culture marseillaise ?
Jean-Marc Coppola. Grâce au métissage, au croisement entre les différentes cultures. Marseille est une ville très ancienne et ce mélange des cultures produit une richesse exceptionnelle. Le rap, c’est aussi un regard sur la société et c’est la raison pour laquelle nous soutenons ce genre musical. Afin que notre jeunesse ait un regard sur la société, pour la critiquer mais aussi pour l’améliorer. C’est comme ça qu’ont émergé de nombreux talents comme Soprano ou JuL.
« Le rap a placé Marseille sur la carte de France », estime Akhenaton d’IAM. Êtes-vous d’accord ?
Absolument, le rap français est né ici à Marseille et n’a pas eu besoin des institutions pour se développer. Mais quand la nouvelle majorité est arrivée à la tête de la ville en 2020, nous avons organisé le festival « Hip-Hop Non-Stop » afin de rencontrer ses acteurs. L’objectif était de reconnaître cette culture, une culture urbaine, plutôt que de l’instrumentaliser. Nous avons dans notre programme le projet de construire une maison du hip-hop, ce qui n’avait jamais été envisagé à Marseille.
Ce genre musical est-il vu comme un modèle de réussite par les Marseillais ?
Oui, il peut être perçu comme un moyen d’exister et d’être reconnu dans le regard des autres. Ça fait quelque chose d’être reconnu en faisant de bonnes choses plutôt qu’en faisant des conneries ! Si on peut tendre la main à cette jeunesse et l’aider à s’épanouir quel que soit le domaine, ça évite de franchir la ligne jaune et de tomber dans la délinquance.
Pourquoi le rap marseillais fascine-t-il autant ?
Il fascine par sa singularité, son accent et son regard sur une ville qui est très riche de son patrimoine historique et culturel, riche de sa diversité et de son immigration vieille de 26 siècles. Marseille est la ville de tous les possibles.
Permet-il aussi de véhiculer une autre image que celle de la ville gangrenée par le trafic de drogue ?
Les trafics naissent car la misère et la pauvreté sont toujours présentes. Les institutions abandonnent certains quartiers en termes de services publics. Quand des jeunes ont des grands frères qui font des études mais ne trouvent pas de travail, les cadets se disent à quoi bon. Il faut de la prévention et de l’éducation. Il n’y a pas une seule recette mais le rap peut en être une, comme l’éducation artistique en général. La ville travaille pour offrir des lieux d’expositions au graff. Plutôt que d’abîmer le patrimoine historique, le graff et le street art sont aussi de bons moyens d’enrichir la diversité, d’enjoliver la ville et d’attirer de nombreux touristes. ?