Radio France, France Télévisions, TF1, Charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique… Les initiatives éditoriales se multiplient face au réchauffement climatique. Entre catastrophisme et approximations, il faut trouver le bon angle.
Les derniers rapports du Giec soulignent le rôle des médias dans la compréhension du changement climatique. Ils sont les mieux à même d’expliquer et de contextualiser des données scientifiques complexes. Pourtant, ces derniers mois ont vu passer quelques fautes de goût, comme des articles sur les bons côtés de la canicule pour les vendeurs de climatiseurs ou des images de baignade pour illustrer le réchauffement de la Méditerranée. Après un été qui a battu des records de température, les médias renforcent leur implication sur les sujets d’environnement. Radio France a dégainé le premier, fin août, avec son manifeste Le Tournant qui comprend notamment 20 heures de formation pour 1 000 personnes, journalistes mais aussi producteurs, chargés de programme, documentalistes…
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Le 14 septembre, plusieurs médias spécialisés (Vert, Reporterre, Socialter, Blast) ont publié la Charte pour un journaliste à la hauteur de l’urgence écologique en 13 points, qui lie questions sociales et environnementales, et appelle à résister à la pression des annonceurs et des actionnaires. Stratégies fait partie de la centaine de rédactions qui ont signé la charte en quelques semaines. Fin septembre, France Télévisions a annoncé à son tour des initiatives au sein des JT, des bulletins météo-climats et des événements animés par Léa Salamé et Hugo Clément. Dans le même temps, la direction de l’information de TF1 a publié sa feuille de route « climat » comprenant de nouveaux rendez-vous éditoriaux, la création d’un comité d’experts environnement, un baromètre climat… Les principales chaînes ont signé un partenariat avec RTE pour informer les téléspectateurs sur l’état du réseau électrique dans le cadre de la crise énergétique.
Ces annonces ont été préparées bien avant les canicules de l’été, même si elles sont tombées à pic. À Radio France, la réflexion a commencé pendant le covid : « J’ai réuni tous nos journalistes spécialisés sciences et santé pour faire un bilan critique du traitement de cette crise qui a occupé jusqu’à 95 % de nos antennes, retrace Vincent Giret, directeur de l’information de Radio France. Nous avons aussi été contactés par des scientifiques qui ont pointé l’importance de former nos interviewers politiques. Cette expérience nous a convaincus qu’il fallait changer d’échelle. On ne pouvait pas se contenter d’équipes spécialisées, il fallait lancer un grand plan de formation sur les sciences. » Une antenne à forte audience, qui plus est de service public, se doit de donner des ordres de grandeur ou de contredire un invité en direct. « Est-il exact qu’un parc d’éoliennes peut remplacer une centrale nucléaire ? Il faut avoir le réflexe de vérifier. De même en économie, on ne peut plus sous-estimer l’angle climatique », souligne Vincent Giret.
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Imagine 2050, société de conseil spécialisée dans la transformation des imaginaires par les médias et la culture, a reçu un afflux de demandes de formation à la rentrée. « Il y a clairement eu une accélération après la publication du Tournant de Radio France, témoigne Laurent Esposito, son directeur. Au sein des rédactions de TF1 et de l’AFP, nous déployons la Fresque du Climat. À TF1, nous allons par ailleurs former 300 journalistes aux enjeux écologiques. Ces ateliers permettront de sensibiliser les rédacteurs en chef et présentateurs sur les éléments d’illustration, la sémantique, la rédaction des lancements. Les journalistes ont déjà un bon niveau de connaissances mais il manque une vision systémique. L’environnement est une problématique transversale aux transports, à l’énergie, à la politique, au sport… Elle ne concerne pas seulement le climat mais aussi la biodiversité, la pollution, les limites planétaires, la justice sociale. »
« On ne résoudra pas la crise climatique sans traiter la biodiversité et la justice sociale, car les plus pauvres sont aussi les plus affectés », abonde Loup Espargilière, rédacteur en chef du média Vert à l’origine de la Charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique. Ce journaliste trentenaire qui a couvert la crise des Gilets jaunes aux Dernières Nouvelles d’Alsace a observé la perte de confiance dans les médias. Pour lui, la charte est une boussole qui peut orienter la transition d’une entreprise de presse, même si tous ses objectifs ne sont pas encore atteints. Il peut ainsi y avoir des contradictions entre la ligne éditoriale et les écrans publicitaires. Mais au moins les rédactions peuvent-elles éviter certaines ambiguïtés.
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« On note beaucoup d’hétérogénéité dans le traitement de ces sujets, observe Anne-Lise Vernières, cofondatrice de l’association QuotaClimat. Par exemple, on peut passer d’un reportage sur les incendies à une rubrique économique où l’on se réjouit de la reprise du tourisme aérien. Dans les émissions de débat, les journalistes n’ont souvent pas les clés pour mettre leurs invités face à leurs contradictions. » Fondée début 2022 en réaction au manque de relais sur le dernier rapport du Giec, QuotaClimat milite pour 20 % de sujets environnementaux dans les médias. Actuellement, ils sont plutôt de 1 à 5 %. Encore faut-il les traiter sans faire fuir le public. Le catastrophisme peut être démobilisateur, alors qu’une récente étude de la Fondation Jean Jaurès a montré que 53 % des Français disaient souffrir de fatigue informationnelle, au point de se déconnecter des médias. « Sans plomber les gens ni chercher tout ce qui peut ressembler à une bonne nouvelle, on peut expliquer comment adapter nos sociétés, tracer des trajectoires pour l’agriculture, la santé, l’éducation, parler d’options énergétiques, de mobilité. L’adaptation au changement climatique est encore un champ largement inexploré », assure Loup Espargilière pour Vert. Le journalisme de solution, qui va au-delà de l’état des lieux, fait partie des formations proposées aux rédactions.