La presse indépendante, qui reste attachée au charme du papier avec une présence minime sur le web, trouve son public. Elle est cependant mise en difficulté par la hausse des coûts de production.
Le papier flambe. « En sortie d’usine, le prix du papier non couché a augmenté de 50 % sur un an. Le papier couché [qui a subi un traitement spécifique pour optimiser les couleurs à l’impression] a, lui, grimpé de 70 % », rapporte Paul-Antoine Lacour, délégué général de l’Union française de l’industrie des cartons, papiers et celluloses (Copacel).
« Ces hausses sont répercutées par nos imprimeurs français, qui nous imputent également les prix croissants de l’énergie pour la fabrication et la livraison. En six mois, les coûts d’impression et de transport d’un exemplaire ont augmenté au minimum de 20 % et peuvent maintenant atteindre près de 50 % », alertent douze magazines indépendants spécialisés cinéma (Les Cahiers du cinéma, Sofilm, Positif, MadMovies…) dans une lettre ouverte adressée le 1er septembre au ministère de la Culture et au CNC, relayée par Télérama.
« Le nombre de titres de presse papier, déjà en chute libre, va continuer de dégringoler, et il faut s’attendre à voir des journaux fermer à la pelle ou perdre leur indépendance en 2023 », augure Philippe Vion-Dury, rédacteur en chef de la revue Socialter, dans un fil sur Twitter en réaction à cette lettre ouverte. Ce dernier appuie sur les conséquences humaines de ces charges supplémentaires. Pour le journaliste, elles freinent « l’amélioration progressive des conditions de travail et des rémunérations, notamment pour les pigistes précarisés ».
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« Les délais de livraison du papier se sont allongés, remarque pour sa part Thierry Griselin, directeur général France et Benelux du distributeur Antalis. Là où auparavant les éditeurs devaient habituellement compter entre trois semaines et un mois pour la livraison, ils doivent désormais tabler sur trois à quatre mois. » De l’observation du dirigeant, les éditeurs se sont constitué un stock, dans un vent de panique, en commandant de plus grandes quantités par crainte de la pénurie. « Et les papetiers ne travaillent qu’avec leurs clients habituels », commente Jean-Dominique Spiegel, cofondateur de We Demain.
Mais quelles sont les causes de cette crise ? « On est sur une tendance baissière de la consommation papier depuis le milieu des années 2000, ce qui a entraîné ces dernières années des fermetures ou reconversion d’usines dans le carton. L’industrie a également été empêchée par le covid, le transport maritime a connu une désorganisation et il y a eu un renchérissement sur les matières [pâtes à papier, produits chimiques], et ce, alors que le dollar est plus fort que l’euro. Sans oublier, le coût de l’énergie pour faire tourner les machines, qui augmente à cause de la guerre en Ukraine », énumère Paul-Antoine Lacour.
Pour amortir le choc, les éditeurs déploient différentes stratégies. La plus évidente est l’augmentation des prix. Ainsi, Le 1 a augmenté de 10 centimes et est, depuis juillet, vendu 3 euros. Une hausse « inférieure à l’inflation », fait remarquer le journaliste et écrivain Éric Fottorino, cofondateur de l’hebdomadaire. Ce dernier dit également envisager une baisse de grammage du papier pour sa revue Zadig, qui passerait de 120 à 110 grammes, « un changement imperceptible au toucher ». Jérôme Blaise, directeur du département publishing de Publicis Media, constate de son côté que « certains éditeurs font le choix de baisser la pagination ou même de supprimer un cahier ». D’ailleurs, si cela s’avérait nécessaire, Jean-Dominique Spiegel se dit prêt à baisser le tirage de son trimestriel We Demain, actuellement autour de 28 000 à 30 000 exemplaires.
Mais attention, « le papier n’est pas mort », prévient Nicolas Brimo, directeur général délégué et directeur de la publication du Canard enchaîné, qui prévoit néanmoins un déploiement plus conséquent sur le web en 2023 sans expliciter le projet. « 96 % des Français lisent au moins une marque de presse par mois. 41 % lisent la presse exclusivement sur mobile et 30 % exclusivement sur papier », avance, chez Publicis Media, Jérôme Blaise, qui cite une étude ACPM de 2021.
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Dans ce contexte économique difficile, des fanzines arrivent tout de même à se créer et à trouver leur public. Les jeunes trentenaires Dan Geiselhart et Lauren Boudard, fondateurs du collectif et de la newsletter Tech Trash, ont ainsi lancé la revue écologiste Climax en juin 2022 grâce à une campagne de financement participatif. « Pourquoi un fanzine ? Parce que le fanzine, c’est le petit-cousin punk du magazine. Indépendant, militant, sans publicité, c’est un média passionné, mordant, affûté, entièrement porté par la communauté », avance le communiqué de presse de lancement.
Le premier numéro du trimestriel, quasi confidentiel, a été tiré à 2 000 exemplaires quand le deuxième numéro, qui sort ce 27 octobre, l’est à 3 000, pour un coût d’impression à 10 000 euros. « On veut éviter la problématique de destruction des invendus qui n’est pas cohérente avec ce que défend Climax », explique Lauren Boudard, qui dit également veiller à ce que le papier utilisé soit écologique et recyclé. Interrogés sur la rentabilité du modèle, les fondateurs assurent qu’ils dégagent « de quoi se payer », à savoir eux-mêmes, deux journalistes, deux directeurs artistiques, un community manager et une dizaine de collaborateurs pigistes.
Le modèle s’inspire d’autres fanzines parmi lesquels Les Others Magazine, cité par Dan Geiselhart. « Il y a un vivier de magazines qui existent en dehors des kiosques », commente-t-il. Distribué à 70 % via son site internet, le deuxième numéro de Climax, vendu 17,50 euros à l’unité (60 euros pour l’abonnement à l’année), sera aussi disponible en librairies, dans 200 points de ventes. Il s’agit là surtout d’un enjeu de visibilité, selon les cofondateurs. « Les titres de presse pensent finement leur stratégie de diffusion », analyse Jérôme Blaise, alors que le réseau de distribution s’est restreint d’année en année. « Il y a de moins en moins de marchands de journaux », déplore de son côté Nicolas Brimo.