Cela s’est fait dans le silence de l’été. Tous les rédacteurs en chef français des titres de Condé Nast ont été remerciés. Exit l’iconique Emmanuelle Alt de Vogue Paris, Joseph Ghosn à Vanity Fair, Olivier Lalanne qui dirigeait GQ et Marie Kalt de AD. À leur place ont été nommés respectivement Eugénie Trochu, Olivier Bouchara, Pierre A. M’Pelé et Marina Hemonet devenus des « chefs de contenu éditorial ». Chacun reporte à un directeur adjoint monde. Ces départs sont assortis d’un plan social. Le groupe reste muet sur les chiffres. En interne, on parle de 50 départs actés, majoritairement des journalistes sur 200 salariés.
« Situations abracadabrantesques »
Ce changement s’est amorcé fin 2020 avec la nomination d’Anna Wintour au poste suprême de directrice éditoriale monde. « Les postes de présidents par pays ont disparu, déplore un ex-salarié. Les rédacteurs en chef ont été congédiés parfois en quelques jours au profit de nouveaux profils, comme l'influenceuse Margaret Zhang, 27 ans, à la tête du Vogue Chine. En France, en raison du droit du travail, les départs n'ont pas été aussi expéditifs que dans certains pays. Mais cela a donné lieu a des situations abracadabrantesques, loin de l’univers chic et élégant que prône le groupe, ajoute-t-il. Condé Nast veut s’inspirer du modèle de Netflix avec une plateforme mondiale et des productions locales exportables. Et volontiers clichées. »
Jean-Clément Texier, banquier d'affaires spécialiste de la presse analyse ces changements : « Dans un élan assez brutal qui ne ménage pas les susceptibilités et la force, Condé Nast joue la reprise en main totale vers la verticalisation et la concentration. Les territoires doivent désormais s’intégrer dans une stratégie mondiale. C’est leur réponse à la chute des investissements publicitaires des annonceurs luxe. »
L'abandon le mois dernier de l'intitulé Vogue Paris, rebaptisé Vogue France, est un symbole. Celui de la rétrogradation de la France, symbole de la mode dans la monde et temple des collections, dans la galaxie Condé Nast Monde. Le titre est placé sous la tutelle d’Edward Enninful, rédacteur en chef du Vogue anglais et directeur éditorial de tous les Vogue d’Europe.
Albert Read, le directeur général adjoint Europe de Condé Nast, justifie pour sa part cette réorganisation par la fragmentation dont souffrait le groupe. « Nous passons d’un business structuré autour du print à une réorganisation orientée vers le digital pour coller à l’évolution des usages des consommateurs, explique-t-il à Stratégies. Imaginez que les Vogue Italie, France, Angleterre et Amérique fonctionnaient en silos. Les équipes ne se voyaient jamais. »
Mais les identités nationales vont-elles être gommées pour aboutir à des journaux largement nourris de sujets produits par d'autres pays ? « Nous respecterons la culture de chaque pays, tout en ayant un niveau éditorial global mais avec des poches d'expertise dans chaque pays. Cette stratégie va nous permettre d’unir nos forces et de faire des investissements conséquents en data et en tech dont bénéficieront toutes les marques. » Pour créer une vaste plateforme internationale de luxe ?
