Et si on faisait d’abord campagne pour la campagne ? Cinq mois avant l’élection présidentielle, candidats et pré-candidats saturent déjà l’espace politico-médiatique, mais nul ne sait si l’intérêt des Français, et notamment des plus jeunes, est proportionnel à l’emphase des éditorialistes télé. Les dernières élections régionales et départementales ont sonné comme un sévère avertissement : l’abstention a battu des records (66%) et la participation de la jeunesse a touché les abysses. 84% des 18-24 ans et 81% des 25-34 ans se sont abstenus.
Le désenchantement, l’éloignement, la désaffection de la jeunesse vis-à-vis de la politique traditionnelle croissent d’année en année. L’intérêt pour la vie de la cité ne s’est toutefois pas évaporé, les jeunes l’expriment d’une autre manière, plus citoyenne, plus horizontale, plus numérique, dans les mobilisations pour le climat, les défilés Black Live Matters ou les mouvements féministes.
Mais comment passer de l’indignation sociétale au vote démocratique, de l’activisme numérique au bulletin dans l’urne ? Une myriade d’associations citoyennes tente de réparer ce lien cassé entre la jeunesse et la démocratie représentative, en reprenant à leur compte des méthodes de community organizing, éprouvées aux Etats-Unis.
La «mal inscription», motif premier du désamour
«Une démocratie sans électeurs et sans sa jeunesse est-elle encore démocratique ?», s’interroge l’ONG A Voté, qui attaque le problème par le versant de la mal inscription. Près de la moitié des 25-34 ans est non inscrite ou inscrite dans une autre commune que son lieu de résidence. «La voix des jeunes n’est pas représentée, ensemble on va changer les choses pour les prochaines élections», proclame l'ONG, qui veut évangéliser les foules numériques afin de recruter des volontaires pour aller toquer aux portes des mal inscrits.
«Les jeunes vont découvrir notre initiative sur les réseaux sociaux, partager nos messages avec leurs amis et nous allons essayer ensuite de les faire agir sur le terrain», explique la coprésidente Flore Blondel-Goupil. La jeune association s’inspire d’ONG américaines, telle When We All Vote, dirigée par Michelle Obama. Au moyen d’une intense campagne de community organizing, 43 000 volontaires ont pu être formés à l’action de terrain dans l’optique de l’élection américaine de 2020, avec à la clé un résultat impressionnant : 512 000 nouveaux électeurs inscrits.
L’offre politique, pierre angulaire d’un renouveau démocratique
Retisser le lien perdu avec la démocratie représentative, c’est aussi agir sur l’offre politique. La Primaire populaire, initiative citoyenne portée par une jeunesse de gauche indépendante, tente de sortir la gauche du marasme généré par l’affrontement partisan. Le projet est sans doute voué à l’échec, alors que les partis font la sourde oreille et ont déjà désigné leurs candidats. Mais cette campagne, qui a réuni 130 000 personnes sur sa plateforme en ligne (soit davantage que la primaire des Verts), porte un modèle intéressant de mobilisation citoyenne en dehors des partis. Du point de vue de la jeunesse, une candidature venue de la démocratie des réseaux aurait sans doute bien davantage de légitimité qu’une candidature issue de processus opaques au sein des partis.
Agir sur l’offre, c’est également former une nouvelle génération de femmes et d’hommes politiques. «Si les jeunes vont si peu voter, c’est aussi parce qu’ils ne sentent pas représentés par un personnel politique qui les comprend et est capable de porter leur parole. Or il y a très peu de jeunes députés, très peu de jeunes maires», regrette Antoine Jochyms, d’Open Politics. Pour pallier ce manque, il a co-fondé un incubateur politique, une formation à l'engagement public, gratuite et apartisane. Des intervenants venus de tous horizons (Raphaël Glucksmann, Nathalie Loiseau, Sandrine Rousseau…) enseignent à des citoyens les outils de l'engagement politique : la prise de parole en public, la stratégie de campagne, la communication politique, l'art du débat, ou le media training.
Ces formations rencontrent un vrai succès, en majorité auprès de la jeunesse. Traditionnellement, ce sont les partis qui forment à la politique mais leur perte d’attractivité ouvre la voie à ces initiatives citoyennes. «Les partis savent toujours former des militants. Cependant les jeunes qui souhaitent s’engager sont de plus en plus frileux à l'idée de prendre une étiquette politique», relève Antoine Jochyms.
Et si on changeait tout ?
Réformer le vote est un dernier angle d’attaque. L’association Mieux voter plaide pour l’adoption du jugement majoritaire, où l’électeur vote en donnant son opinion sur tous les candidats, avec des mentions allant d’«Excellent» à «À rejeter». Un antidote au vote utile, qui sera probablement un des ferments de l’abstention de l’élection présidentielle.
Toutes ces initiatives, qui prennent chacune le problème de l’abstention par un versant différent, ont un point commun : elles se revendiquent apartisanes et misent fortement sur la mobilisation en ligne. «Pour faire revenir les jeunes aux urnes, il faut pouvoir les trouver là où ils sont, sur les réseaux sociaux. Pour sensibiliser à la politique, nous bénéficions d’un nouvel écosystème de médias (Pass Politique, Fast Infos, Le Crayon…) et d’influenceurs (Hugo Décrypte, Gaspard G, Jean Massiet…) qui captent de plus en plus l'attention des jeunes sur des questions d’intérêt public», explique Flore Blondel-Goupil. Les médias citoyens, un autre instrument clé pour revivifier la démocratie.
Les épisodes précédents :
- Episode 1 : Sur le web, la campagne pour 2022 est déjà bien lancée