La place et le rôle des médias audiovisuels francophones en Afrique sont à la fois majeurs et contestés. « Les médias panafricains jouent évidemment un rôle très important en Afrique francophone, notamment démocratique », rappelle Étienne Damome, enseignant-chercheur au laboratoire Médias, sociétés et cultures de l'université Bordeaux-Montaigne. « Cependant, leur perception par les citoyens est ambivalente : d’un côté, ils informent objectivement sur la situation dans le pays mais, d’un autre côté, ils sont perçus comme la voix de la France, l’ancien colonisateur », complète-t-il.
En Afrique, l’accès à internet se fait essentiellement par le téléphone mobile [lire encadré]. Ceci s’explique à la fois par la faiblesse de l’équipement domestique en ordinateur, un réseau d’infrastructures internet obsolète et un coût de l’accès aux données souvent prohibitif. Toutefois, Google a annoncé début octobre 2021 un plan d’investissement de plus d’un milliard de dollars pour soutenir la « transformation numérique » du continent.
Le développement des médias panafricains francophones passe naturellement par les réseaux sociaux. « Notre mission est de porter les valeurs de la France, il est donc absolument nécessaire de garantir une accessibilité au plus grand nombre que ce soit en broadcast, via le numérique ou les réseaux sociaux », résume Vincent Fleury, directeur des environnements numériques de France Médias Monde, qui regroupe RFI, France 24 et Monte Carlo Doualiya.
Hyper-distribution
De son côté, TV5 Monde a développé une « stratégie d’hyper-distribution des contenus via le numérique », explique la directrice du numérique, Hélène Zemmour. Même approche du côté d’Africanews, la chaîne panafricaine en français et en anglais d’Euronews. Quant à Canal+, qui a fait de l’Afrique l'une de ses priorités à l’international, elle a lancé sa chaîne panafricaine A+ en 2016. La filiale de Vivendi s’était simultanément alliée au Nigérian Iroko pour déployer un service de vidéo à la demande, disponible uniquement sur les smartphones. « Avec la généralisation du haut débit, tout convergera vers la plateforme numérique myCanal », expliquait David Mignot, DG de Canal+ Afrique à Jeune Afrique en 2019.
Dans ce dispositif, « les réseaux sociaux nous permettent de porter l’information de façon optimale auprès des différentes communautés », précise Vincent Fleury, de France Médias Monde. Car les Africains de l’Ouest consacrent 20 % de leur temps quotidien à consulter les médias sur internet (1h16 sur un total de 6h14, selon l'étude Africascope 2021 de Kantar. Et ce temps est très majoritairement (plus de 70 %) utilisé pour consulter les réseaux sociaux ou une messagerie instantanée. Alors que l’accès à la donnée coûte très cher, il est important d’optimiser la consommation internet, les réseaux sociaux offrant à la fois un condensé d'information sur un format court et un débit vidéo optimisé en fonction du débit internet dont dispose l’internaute. Sans oublier que les plateformes numériques ont développé depuis longtemps des versions « light » de leurs applications à destination des pays émergents, peu gourmandes en données. TV5 Monde, de son côté, a même « levé la pression publicitaire sur les vidéos car les pre-roll pénalisent l’accès à nos contenus », révèle Hélène Zemmour.
Résultat, les réseaux sociaux représentent une part importante de l’audience des principaux médias panafricains francophones. À France Médias Monde, 58 % des 49 millions d’abonnés à Facebook sont en Afrique, de même que 30 % des vues réalisées sur ses chaînes YouTube. Pour TV5 Monde Afrique, 49 % de son trafic est issu des réseaux sociaux. Quant à Africanews, il affiche 4 millions de vues par mois sur YouTube (240 000 abonnés) et 1,9 million d’impressions sur Facebook (290 000 followers). L’audience Facebook de la chaîne panafricaine d’Euronews a même progressé de 69 % en un an et le nombre de pages vues via l’application a progressé de 44 % entre 2020 et 2021.
JT découpés
Pour s’imposer sur les réseaux sociaux, les chaînes de télévision ont dû adapter leurs formats. La première étape a consisté à répondre aux contraintes techniques en proposant des vidéos courtes, voire très courtes, au format carré ou vertical, suffisamment compressées pour être lues sans problème. « Nous essayons de rendre nos contenus facilement accessibles, même là où internet n’est pas de bonne qualité en multipliant les formats disponibles », détaille Hélène Zemmour, de TV5 Monde. Les JT sont ainsi découpés en sujets thématiques et les séries ou émissions sont promues grâce à des formats « auto-porteurs » courts (extraits, teasers...).
La création de contenus exclusifs pour les réseaux sociaux n’est pas à l’ordre du jour à TV5 Monde. Du côté d’Africanews, « nous avons développé une stratégie multicanal pour développer l’audience à partir de contenus différenciés », expose François Chignac, son directeur. La chaîne privée, qui diffuse de nombreux lives sur YouTube, a ainsi développé des contenus originaux complémentaires (data, infographie) pour compléter ses programmes d’information. Elle a aussi diffusé Cry like a boy, un podcast en français et en anglais sur la masculinité. Le développement de contenus spécifiques pour les réseaux sociaux est d’ailleurs l'une des orientations majeures d’Africanews pour 2022, souligne François Chignac, qui évoque notamment des projets de podcasts.
Les plateformes numériques émergentes, Twitch et surtout TikTok, sont observées avec la plus grande attention. Mais elles ne sont pas encore utilisées par les chaînes d’information car leurs contenus ne sont pas adaptés et le modèle de monétisation leur paraît encore limité. Seule France Médias Monde participe à une « expérimentation » sur TikTok via Culture Prime, le média social culturel vidéo créé par les six entreprises de l’audiovisuel public français.
Smart-reporters
De son côté, le groupe Trace n’a pas trop de mal à diffuser le contenu des émissions musicales de ses chaînes TV et radios à travers l’Afrique. Il compte 20 millions de fans sur les réseaux sociaux, dont la moitié en Afrique. Pour cela, il s’appuie sur pas moins de 65 pages pour l’Afrique. « La musique joue un rôle majeur en Afrique et ce, quel que soit le type d’événement », souligne Olivier Laouchez, PDG de Trace. Pour lui, « l’approche éditoriale doit forcément être diversifiée pour alimenter les réseaux sociaux ».
C’est pourquoi, au-delà de ses contenus musicaux ou lifestyle, Trace va se développer dans l’information locale thématique. Pour cela, le groupe va proposer des formations de « smart-reporters » à ses équipes et à des internautes afin de multiplier les vidéos natives pour réseaux sociaux. Mais si le continent africain représente 50 % du chiffre d'affaires de Trace (30 millions d'euros), le marché francophone ne pèse, lui, que 20 %. « L’Afrique représente 17 % de la population mondiale, mais seulement 2 % de la richesse et 0,47 % des investissements publicitaires », conclut-il.
Une connexion mobile à domicile
La part des internautes en Afrique francophone a fortement augmenté ces dernières années. Selon les données de l’étude Africascope 2021, extraites pour Stratégies par Kantar, la part des internautes en Afrique de l’Ouest est passée de 51 % en 2018 à 65 % en 2021. La situation reste très différente d’un pays à l’autre. Si la part d’internautes connectés « au moins une fois par jour » est de 62 % au Sénégal, elle n’est que d’environ 40 % au Mali, en Côte d’Ivoire ou en République démocratique du Congo, et chute à 25 % pour le Congo-Brazzaville. C’est essentiellement par le mobile (97 % contre 17 % pour l'ordinateur) et à domicile (95 %) que les Africains de l’Ouest se connectent à internet. Les usages sont très majoritairement orientés vers la consultation des réseaux sociaux (72%), l’utilisation de messagerie instantanée (71 %), puis le téléchargement de fichiers audio ou vidéo (44 % et 38 %). La pénétration de Facebook et de Whatsapp est très importante (87 % et 93 %). Le contenu suivi ou échangé concerne essentiellement la famille (70 %), puis les célébrités (40 %), les actualités (39 %), les marques et des médias (33 % chacun).