Vous avez la légitimité pour porter un regard acéré sur 50 ans de médias. Alors que le débat sur les fake news fait rage, diriez-vous que dans le traitement de l’information, c’était mieux avant ?
Michèle Cotta. On a toujours tendance à dire que c'était mieux avant. Mais la mise en place du fact-checking à la radio, en presse écrite et à la télévision, est une très bonne initiative pour contrecarrer les fake news. Cela montre que des réponses aux déviations ou aux dévoiements sont toujours possibles. C’est important de ne pas laisser dire n’importe quoi à quelqu’un en direct et de pouvoir le contredire.
Les infox émergent surtout sur les réseaux sociaux...
Chacun s’y exprime sans le moindre tamis et s’adresse à un auditoire qui partage généralement le même avis. Cela se voit chez les antivax. Confrontés pour certains à d’autres avis, ils ne les contestent pas, ils refusent la contradiction et y répondent par l’injure.
L’erreur n’est-elle pas de prendre les réseaux sociaux pour une source d’information ?
Il y a 50 ans, on commençait l’après-midi en ouvrant Le Monde. C’était la première source d’information et elle était fiable. Puis on faisait « avancer l’information » en commandant des reportages ou des interviews pour la nourrir et la confronter. Aujourd’hui, le réflexe des journalistes est souvent de consulter les réseaux sociaux pour voir ce qui fait du buzz ou peut être croustillant. Les déclencheurs d’information sont les réseaux sociaux.
Quels progrès constatez-vous dans les médias ?
Il y a une accélération formidable de l’information. On est loin du journal télévisé enregistré dans les années 50. Pour obtenir les images des reportages diffusées par Pierre Lazareff, Pierre Desgraupes ou Pierre Dumayet, il fallait un temps fou. Internet a tout changé. Il offre aussi un formidable service de documentation, si l’on est rigoureux dans la sélection. Aujourd’hui, on a l’univers entier en direct et c’est un progrès, même s’il faut aussi prendre le temps d’assimiler et de vérifier l’information.
Et quelles régressions voyez-vous ?
Le revers de la médaille de l’instantanéité et de la rapidité, ce serait d’être poussé à la faute, par manque de vérification. Et de participer au matraquage de l’info avec un côté moutonnier.
Trouvez-vous qu’il y a trop de Zemmour dans les médias actuellement ?
Trop, je ne sais pas car je n’ai pas d’étiage à proposer. Et si je dirigeais une rédaction, je chercherais à obtenir son interview, forcément. Mais la surexposition d’un fait ou d’un personnage pousse certains à douter de l’information, qui peut apparaître comme déclenchée par une source unique, que ce soit le gouvernement, les laboratoires ou une autre structure.
Nombre de journalistes ont rejeté dans un premier temps le numérique, ce qui a ralenti la mutation digitale des rédactions. Mais pas vous…
Après mon départ de la Haute Autorité en 1986, avec Daniel Karlin, nous avions en tête que chaque média de presse pourrait avoir sa déclinaison télé. Nous en avions parlé avec des rédactions. Mais l’idée avait été rejetée par tous. Très longtemps, les journalistes ont boudé voire combattu le numérique, faisant preuve d’un archaïsme, d’un corporatisme et d’un défaut de vision sur ces sujets.
Votre premier coup journalistique est d’avoir obtenu les premières réactions de François Mitterrand après l’attentat de l’Observatoire, en 1959. Comment les avez-vous obtenues ?
J’étais étudiante à Sciences Po en 3e cycle et Philippe Tesson me faisait piger à Combat. Après être resté reclus, Mitterrand a fait sa première sortie pour assister à une journée de débats à l’abbaye de Royaumont. Lors du déjeuner où il est arrivé, comme toujours, en retard, il s’est retrouvé en bout de table, à côté de moi. J’ai alors pu discuter avec lui.
Les scoops étaient-ils plus faciles à décrocher avant les réseaux sociaux ?
La différence, c’est que nous avions un rapport direct avec les hommes politiques. Ils n’avaient ni attaché de presse, ni communicants. C’était plus facile de les faire réagir et d’éviter les phrases toutes faites et les mots d’ordre. Dans les années 1980 ou 1990, les hommes politiques ont commencé à relire leurs textes. Mitterrand était coutumier du fait car comme il n’était jamais satisfait de ce qu’il faisait, il voulait toujours rajouter quelques phrases.
Vous avez travaillé en presse écrite à L’Express, à la radio à Radio France et à RTL, en télé à TF1 et France 2, comme journaliste et comme manager. Quel a été le poste le plus compliqué ?
La Haute Autorité de la communication audiovisuelle, bien sûr. On sortait d’un monopole total de la télévision, apanage du monde gaulliste avant de se desserrer sous Giscard. Quand, pour l'élection présidentielle de 1965, Mitterrand est apparu à la télévision, les gens l’avaient vu deux ou trois fois et Jean Lecanuet, jamais. Cet organisme n'existait pas. Nous avons créé un nouveau droit de la communication, pensé les règles de la publicité avec jingle d’entrée et de sortie, et pas de publicité clandestine. Nous avons imposé un comptage du temps de parole des politiques avec la règle des trois tiers : un tiers majorité, un tiers opposition et un tiers gouvernement. C’est une mauvaise règle mais il n’y en a pas de meilleure. Et il a fallu la faire respecter.
Le pouvoir socialiste, qui vous avait nommé, ne vous a pas trouvé assez docile lors de la désignation du président d’Antenne 2…
Il y a eu une demande très pressante du pouvoir en faveur de Jean-Claude Héberlé, ami de certains. Mais nous avons été deux à ne pas vouloir voter pour lui. Je tenais à notre indépendance. Mon candidat était Jean Drucker, que j’ai imposé un an plus tard.
Quel regard portez-vous aujourd’hui sur le CSA ?
Il se débrouille très bien. Il est soucieux de la place des femmes et des minorités. Il a désormais une vue sur les équilibres financiers. Et le président actuel Roch-Olivier Maistre se fait entendre avec parcimonie mais quand il le faut. Il a eu raison de vouloir décompter le temps de parole d’Éric Zemmour puisqu’il est en piste pour être candidat.
Vous avez été recruté par Françoise Giroud à L’Express. Elle se targuait d’avoir choisi de brillantes et jolies journalistes, Catherine Nay et vous pour traiter de la politique. Vos carrières témoignent de son flair. Mais cette déclaration ferait rugir les féministes aujourd’hui…
C’est Jean-Jacques Servan-Schreiber, son alter ego, qui l’a dit abruptement alors qu’elle le reprenait plus subtilement. Il y a quatre ans, Catherine Nay a entendu à l’antenne d’Europe 1 une journaliste décrier ce temps où « Françoise Giroud choisissait des amazones pour séduire le Parlement ». Elle a déboulé à l’antenne en direct en rétorquant : « sans nous, vous ne seriez pas là ». Françoise misait sur la confiance qu’elle nous faisait alors que Jean-Jacques avait misé sur la séduction, qui ne dure que six mois. Si nous sommes toujours là, c’est que nous avions autre chose à proposer que du charme personnel. Et cela a beaucoup servi les journalistes femmes. Quand nous sommes arrivées au Parlement, il n’y avait qu’une femme journaliste.
Avez-vous souffert de misogynie ?
Pas tellement. Nous étions dans un journal dirigé par une femme. Comme elle avait fait la preuve qu’elle savait le diriger et écrire, elle nous a beaucoup protégées. Et elle m'a beaucoup protégée. Sans elle, j’aurais eu plus de difficulté. Ensuite, je n’ai pas été une femme alibi. Mais j’ai bénéficié de la volonté de certains de ne pas créer un univers audiovisuel uniquement masculin. Avoir des diplômes, un livre tiré de ma thèse avec René Rémond et publié très jeune m’a aussi aidée.
Trouvez-vous que les femmes ont la place qu’elles méritent ?
Il reste des combats à mener. Car elles ne sont pas assez présentes dans les postes à responsabilité. Les hommes restent dominants au fur et à mesure qu’on monte dans la hiérarchie.
Vous avez coanimé le débat de l’entre-deux tours en 1981 et en 1988. Aviez-vous participé aux âpres négociations techniques entre les deux camps ?
Non, mais nous avons vu à quel point les conseillers mesuraient la force de l’image. Serge Moati avait choisi des plans serrés pour que François Mitterrand semble très présent à l’image tandis que Giscard avait choisi des plans trop larges.
Emmanuel Macron tient à distance les journalistes après un quinquennat où François Hollande a multiplié les liens avec eux, allant jusqu'à trop se confier à Fabrice Lhomme et Gérard Davet, sans aucun contrôle. Quelle stratégie prônez-vous ?
Et vous oubliez Nicolas Sarkozy qui disputait Patrice Duhamel, alors directeur général de France Télévisions, du matin au soir. Je trouve qu’Emmanuel Macron a tort. Il gagnerait à se montrer tel qu’il est. Et heureusement qu’il n’a pas enlevé la salle de presse de la cour de l’Elysée. Mais Brigitte Macron sait appeler les journalistes pour les inviter à déjeuner et il passe alors dire un bonjour à la fin. Elle compense ce qu’elle doit voir comme un manque.
Quand vous voyez BFMTV et France 2 diffuser un débat en vue de la présidentielle le même jour, vous vous réjouissez de l’offre ou regrettez que les téléspectateurs doivent choisir ?
Je me félicite de la multiplication des débats mais je regrette qu’ils aient eu lieu le même soir.
Pour finir, quatre chaînes info, cela vous semble trop ?
Il n’y en a jamais trop mais elles sont trop sur le même modèle. J’attends surtout de TF1 et France 2 qu’elles ne cèdent pas trop aux sujets magazines, et qu'elles valorisent la politique étrangère qu’elles ont les moyens de couvrir avec leurs rédactions, contrairement aux chaînes info qui sont davantage sur la politique intérieure.
Aujourd'hui, chroniqueuse au Point.fr et éditorialiste à Nice Matin, Michèle Cotta a été journaliste, présidente de Radio France puis de la Haute Autorité de la communication audiovisuelle avant de diriger l'information de TF1 puis France 2. Regard entre deux siècles.