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L'humour caracole au sommet de l'audience des radios généralistes et en tête des podcasts. Une matière attractive qui peut aussi être hautement inflammable.

Par Jupiter de France Inter, Les Grosses têtes de RTL, La Revue de presque de Nicolas Canteloup sur Europe 1 et Laurent Gerra sur RTL, sont parmi les podcasts replay d'humour les plus écoutés. Idem pour leur diffusion en direct. L'équipe de Charline Vanhoenacker à 17 h sur France Inter a fait progresser de 114 % sa case en sept ans. Elle signe cette saison la meilleure audience entre 17 h et 18 h depuis la création de la radio.

«Le monde dans lequel on vit étant très anxiogène et destabilisant, l'humour permet de relativiser et de prendre de la distance, estime Laurence Bloch, la directrice de la radio publique. Dans une société très cadenassée, c'est un signe de liberté d'expression. Charline Vanhoenacker dit que cela met de l'huile dans les rouages. Elle a raison.»

Les Grosses têtes, le plus podcasté

Gauthier Hourcade, directeur des programmes de RTL, renchérit : «Les programmes d'humour sont un succès en radio et un succès phénomènal en délinéarisé. Les Grosses têtes sont le programme le plus podcasté d'Europe avec 13 millions de téléchargements par mois. Et nous sommes la seule radio qui produit un spectacle d'humour quotidien de deux heures, élu en 1999 par un sondage du Parisien L'émission du siècle.» La station va ajouter un rendez-vous humoristique dans sa matinale à la rentrée à 7 h 55, avec Philippe Caverivière.

Pour Jean-Marc Dumontet, proche du travail de ce dernier et producteur de Nicolas Canteloup sur TF1 et Europe 1, le succès de l'humour radio ou audio repose «sur le déclenchement d'un imaginaire immédiat et puissant, sans parasitage par l'image. Ce sont des respirations dans des tranches d'info qui traitent de l'actualité. On peut parler d'un Castex un peu balourd, maladroit et servile face à Emmanuel Macron alors qu'aucun journaliste politique ne le fera ainsi. C'est une façon de décrypter l'information autrement et de l'éditorialiser fortement.»

«L’humour, c’est aussi fédérateur, analyse Vanhoenacker. Les mêmes propos font rire les jeunes et les vieux, partout en France et dans toutes les catégories sociales.» Son comparse, Guillaume Meurice, y voit comme une respiration : «L'humour a toujours été axé sur la société. Et ça marche d’abord parce que c'est rigolo. Ça permet de mettre de la distance, de dire des choses sans faire la morale. Alors qu'un éditorialiste aura un côté professoral, qui peut être repoussant.» Mais ne comptez pas sur Guillaume Meurice pour définir l'humour d'Inter... «C'est un truc à la con, comme l'esprit canal. Ça n'exite pas. Il y a autant de forme d’humour à Inter que de chroniqueurs. Le seul point commun pourrait être la liberté de ton.»

Stigmatisation des humoristes

Qui dit liberté dit aussi responsabilité. La question agace Charline Vanhoenecker : «Dans les médias français, les limites sont outrepassées tous les jours par des éditorialistes de C8, CNews ou LCI et il y a pourtant une forme de stigmatisation des humoristes. C’est Éric Zemmour qui a été condamné pour injure et provocation à la haine, pas un humoriste.» Guillaume Meurice rappelle ses fontières propres : «Personnellement, c'est la loi française, avec la diffamation et l'injure publique. Et ma limite concerne la vie privée. Je ne la franchis pas et je ne me permets pas d'en parler si les intéressés n’en font pas la publicité dans des médias.»

Même écho chez Laurence Bloch : «Les limites posées aux humoristes sont celles de la loi : ni racisme, ni homophobie… Mais je fais très attention aux réactions des auditeurs. Quand elles sont massives, ce sont souvent des problèmes de mauvaise formulation ou de blagues mal comprises. On en parle alors avec les intéressés. Mais je n'impose jamais de relecture des textes, c'est ce qui fait la singularité d'Inter.»

Ce que confirme Guillaume Meurice : «Le réalisateur entend mes sons en amont mais même Charline, parfois, ne sait pas de quoi je vais parler. Je n'ai jamais de discussion éditoriale avec Laurence Bloch. Tout juste boit-on un café pour parler de faits d'actu de temps en temps. Ça s'appelle la liberté et si je n'avais pas cela, je partirais. C'est un droit qui s'use si on ne s'en sert pas. Et tout ça avec vos impôts! Dans le climat ambiant, avec le pouvoir de l'argent et des actionnaires qui font pression sur les humoristes, on se sent comme le village d'Astérix.»

Côté RTL, pas de contrôle éditorial non plus, assure-t-on. «Les Grosses Têtes sont enregistrées le matin en public et diffusées l'après midi. On leur laisse la liberté d'improviser le meilleur spectacle possible et après on le découpe. Mais s'il y avait de la censure, le public le dirait ne serait-ce que sur les réseaux sociaux, assure Gauthier Hourcade. Nous avons une liberté d'expression qui n'est pas un hasard. Elle est partagée par tous car RTL est l'antenne de l'humour, de la dérision et de la caricature.» 

«Pas de limite sur TF1 et Europe 1»

Jean-Marc Dumontet l'affirme : «On a eu la chance de ne jamais avoir de limite sur TF1 et Europe 1, même si l'on a pu avoir des frictions. Je sais que la censure existe mais je ne l'ai jamais subie et il ne faut pas que les humoristes y cèdent. Le devoir de ceux qui en sont victimes est de la refuser. Ce sont des rapports de force normaux dans le journalisme. Regardez Xavier Gorce [dont le dessin publié dans La Matinale du Monde a été suivi d'excuses de la direction du journal].»

Les auditeurs et journalistes maison ont noté que Nicolas Canteloup est le premier à avoir dit à l’antenne qu’une majorité des effectifs de la matinale d'Europe 1 était en grève le lundi 21 juin. Un mouvement pour s’élever contre l’influence grandissante de Vincent Bolloré et de son groupe Canal+ qui opère un rapprochement de la radio avec CNews. Nicolas Canteloup a ironisé sur l’humour d'Éric Zemmour et regretté le départ de Christine Berrou qui a claqué la porte à la suite de la demande de l'équipe du week-end de supprimer dans sa chronique enregistrée une phrase : «Mon papa c’est Éric Zemmour, il aime pas les gens heureux.»

«Ma réaction a été animale et instrinctive, confie-t-elle. On m'a posé une limite qui ne m'a pas semblée acceptable. Rétrospectivement, ça n'arrange pas ma situation personnelle. J'ai quitté un boulot que j'aimais et une place à l'antenne. Mais si je n'étais pas partie, je ressentirais un mal-être. Ça va faire dix ans que je fais ce métier sur Europe 1 ou RTL, Téva ou France 3, c'est la première fois que j'essuie une censure. Je ne suis pour personne, je tape sur tous ceux qui sont dans l'actu.» Tel est sans doute le paradoxe : les humoristes sont parfois pris au sérieux. «Mais on reste des fabriquants de blagounettes», insiste Guillaume Meurice. 

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