Audiovisuel
La présidente de France Télévisions, candidate à sa propre succession, peut capitaliser sur une part d'audience globale qui se maintient et des lancements plutôt réussis sur le numérique (Slash, Okoo). Pour ses détracteurs, elle n’a pas su résister aux exigences budgétaires de l’État.

Difficile encore de savoir quels seront ses adversaires. Rares sont les candidats à s’être officiellement déclarés pour succéder à Delphine Ernotte à la tête de France Télévisions le 22 août prochain. La présidente en exercice veut en tout cas rester en place. Audiences, innovations dans les programmes, chantiers numériques, gestion de l’entreprise… Professionnels de l’audiovisuel, observateurs et syndicats jugent ce qu’il faut retenir de ces cinq ans de mandat et ce qui aurait pu être mieux fait.



Des audiences plutôt bonnes

Delphine Ernotte termine son premier mandat à la tête de France Télévisions sur des audiences proches de ce qu’elle avait trouvé en arrivant. Le groupe dans son ensemble est à 28,7% de part d’audience (PDA) sur les six premiers mois de l’année (chiffre arrêté au 21 juin), 0,1 point de plus que sur l’ensemble de l’année 2015, selon Médiamétrie. France 2 a connu des audiences en V sur la période : à son arrivée en 2015, la chaîne est à 14,3% sur les 4 ans et plus, un chiffre qui chute à 13% en 2017, avant de remonter à 13,9% en 2019, 14,1% depuis le début de l’année. Entre-temps, France 2 a revu de fond en comble ses après-midis, avec l’arrivée à la rentrée 2017 de Faustine Bollaert, Daphné Bürki et Sophie Davant. « Au niveau du groupe, l’access [18h30-20h] n’a jamais été aussi fort depuis 2007, porté par Nagui sur France 2 et C à vous sur France 5 », relève Philippe Nouchi, directeur de l’expertise média chez Publicis Media. France 3 est à 9,1% de PDA depuis le début de l’année, en recul de 0,1 point par rapport à 2015. France 5 a gagné 0,2 point, à 3,6%, tandis que France 4, dont le positionnement a évolué à plusieurs reprises, a perdu 0,4 point, à 1,3%, malgré le succès qu’on lui attribue durant la période du confinement. « Dans un paysage audiovisuel compliqué, avoir réussi à stabiliser voire à légèrement augmenter la part d’audience de France Télévisions est déjà une bonne performance », estime Philippe Nouchi.



Des programmes féminisés

La formule a marqué le début du mandat de Delphine Ernotte. Dès septembre 2015, elle prévient : « On a une télévision d'hommes blancs de plus de 50 ans et ça, il va falloir que ça change. » Exit David Pujadas, Julien Lepers et bientôt Patrick Sébastien. La patronne de France Télévisions veut plus de femmes à l’antenne. Outre l’arrivée de Faustine Bollaert et Daphné Bürki sur France 2, la direction confie les rênes de C dans l’air, longtemps épinglé par le CSA pour sa sous-représentation des femmes expertes, à Caroline Roux. « Delphine Ernotte a osé s’attaquer à certains animateurs installés depuis des décennies et dont on pouvait se demander, pour certains, s’ils correspondaient à l’identité de service public », juge Philippe Bailly, président du cabinet NPA Conseil.

C’est également durant sa présidence que France Télévisions a mis à l’antenne un deuxième feuilleton quotidien, Un si grand soleil, diffusé sur France 2 à 20h40 depuis la rentrée 2018. « Ce n’est pas évident d’installer un feuilleton quotidien à cette heure-là », reconnaît Philippe Nouchi. Pari gagné : depuis la rentrée, le feuilleton rassemble en moyenne 3,7 millions de téléspectateurs, soit une part d’audience de 15,7%.

La programmation de France 4 durant le confinement est également à porter au crédit de Delphine Ernotte, avec la diffusion de La Maison Lumni et de cours à domicile, de l’école primaire au lycée. Pour autant, les audiences mensuelles de la chaîne n’ont cessé de reculer sur la période, passant de 1,4% de PDA en février à 1,3% en mars, 1,2% en avril et 1,1% en mai, selon Médiamétrie. Reste à connaître le sort de France 4, qui devait initialement s’arrêter le 9 août 2020.



Multiplication des plateformes numériques

C’était l’un des enjeux de Delphine Ernotte lors de son arrivée : rajeunir les audiences du groupe. Sur le linéaire, la moyenne d’âge des téléspectateurs de France Télévisions a vieilli, passant de 58,3 ans en 2015 à 61,4 ans en 2020. Mais la tendance est la même pour la télévision en général, passée de 50,7 ans à 54,2 ans sur la période. C’est surtout par le numérique que l’ancienne patronne d’Orange voulait conquérir des publics plus jeunes, avec le lancement de plateformes ad hoc : Slash pour les 18-35 ans, Okoo pour les enfants, Lumni pour les contenus éducatifs, ou encore Culture Prime, lancé avec les autres médias publics sur les réseaux sociaux. « Slash, par exemple, va dans la bonne direction mais il s’adresse à un public trop ciblé, regrette Francis Guthleben, ancien directeur des programmes de France 3 Alsace et auteur de l’ouvrage Sauvons France Télévisions, publié en 2015. France Télévisions ne fait pas assez savoir ce qu’il fait à destination des jeunes publics. »

Le lancement à la rentrée 2016 de Franceinfo, média global par excellence, avec une chaîne télé, une radio et un site, laisse derrière lui un bilan très contrasté. Si le site, fort de ses 148 millions de visites par mois, se classe au 4e rang des sites d’actualité, selon l’ACPM, l’audience de la chaîne info est à la peine : 0,6% de PDA en mai, très loin de BFMTV (2,9%), LCI (1,5%) et CNews (1,4%). « Cette chaîne n’a pas les moyens de fonctionner et elle ne trouve pas son public, en dépit de la suppression du Soir 3, qui devait être mieux exposé sur Franceinfo », regrette Raoul Advocat, délégué syndical central du SNJ à France Télévisions. Les avis sont aussi partagés sur le lancement à l’automne de la plateforme Salto, avec TF1 et M6. « C’est le meilleur moyen de diluer la mission de service public de France Télévisions », estime Francis Guthleben.



Un budget à l’équilibre

Le retour des comptes de France Télévisions à l’équilibre dès 2015 fait partie des points positifs relevés par le CSA dans son avis rendu en février sur la présidence de Delphine Ernotte. Le contexte budgétaire a pourtant été compliqué : en juillet 2018, le gouvernement a demandé 160 millions d’euros d’économies à France Télévisions d’ici à 2022, entraînant la négociation d’une rupture conventionnelle collective visant 2000 départs, pour 1100 embauches dans le numérique. « Nous sommes passés d’une Delphine Ernotte qui voulait fromage et dessert [en référence à une déclaration faite par la présidence de France Télévisions en août 2015, dans laquelle elle disait vouloir redevance et publicité] à une acceptation des baisses budgétaires », déplore Pierre Mouchel, délégué syndical central de la CGT à France Télévisions. « Elle n’est peut-être pas complètement arrivée à se faire entendre des pouvoirs publics », renchérit Philippe Bailly. La redevance audiovisuelle, on s'en souvient, est passée de 139 à 138 euros en 2020.

Le nom du nouveau président connu d’ici au 24 juillet

En raison de la crise sanitaire, le CSA a revu le calendrier initial de nomination à la présidence de France Télévisions. Les candidats ont jusqu’au 10 juillet pour se déclarer, après quoi le CSA publiera le 15 juillet la liste des candidatures recevables, avant de procéder aux auditions. Le nom du gagnant sera connu au plus tard le 24 juillet.

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