Plateforme
Le géant du streaming vidéo inaugurera le 17 janvier un nouveau siège en France où il compte développer une vingtaine de productions en 2020.

C’est à Paris dans le quartier Edouard VII, un roi qui régnait sur un empire britannique à son apogée au début du xxe siècle, que Netflix s’installe en janvier. Entre le théâtre du même nom et l’Olympia, la plateforme loue un espace de 2 500 m2 pour quelque 2 millions d’euros annuels. De quoi abriter une quarantaine de salariés et sans doute une cinquantaine d’ici à la fin de l’année, avec une capacité pouvant aller jusqu’à 120. Le 17 janvier, le CEO fondateur, Reed Hastings, sera à Paris, dans le IXe arrondissement, pour inaugurer ces nouveaux locaux. 

Rencontre avec Kery James et Leïla Sy

Au menu, panels et tables rondes autour des coulisses de Netflix ou l’usage des technologies. Ou encore rencontre avec Kery James, l’acteur rappeur qui a coréalisé et scénarisé – avec Leïla Sy – Banlieusards, la nouvelle série française de Netflix, sortie à la mi-octobre 2019. « Un succès hallucinant avec plus de 2,7 millions de spectateurs, rappelle Anne-Gabrielle Dauba-Pantanacce, directrice de la communication de la plateforme en France (ex-Google). Et qui conforte le géant dans son idée de porter à l’écran la diversité et les nouveaux talents dans l’Hexagone. « Une histoire n’est bonne que si elle reflète la vraie vie », observe la dircom. 

Cela sera-t-il suffisant face au rouleau compresseur des concurrents, à commencer par Disney+ qui se lancera le 31 mars avec, comme Netflix, l’appui du distributeur Canal+, mais aussi un budget global supérieur (22 milliards de dollars contre 15 milliards) ? « Si vous voulez monter votre niveau de jeu, il faut jouer avec des aussi bons voire des meilleurs », déclare à ses troupes Reed Hastings. De quoi galvaniser les salariés ? Le géant est réputé vulnérable en raison d’une dette galopante (12,4 milliards de dollars) et d’un catalogue qui n’a pas un accès naturel au catalogue des majors comme Disney+ (Disney, Marvel, Pixar, Star Wars) ou HBO Max (WarnerMedia).

Un investissement qui pourrait doubler

Avec 158 millions d’abonnés dans le monde, dont plus de 5 millions en France, Netflix mise sur ses hits (La casa de papel, Orange is the new black…) et sur des productions maison locales pour poursuivre sa croissance. « Le groupe a annoncé en ce sens un investissement de 420 millions de dollars pour produire en Inde et conquérir le marché indien, rappelle Capucine Cousin, journaliste et auteur de Netflix et Cie (Armand Colin). Il s’agit de faire de la production locale pour avoir une diffusion mondiale. »

Pour séduire le marché français, le géant a déployé en 2019 son savoir-faire sur la création de quinze contenus originaux français dans tous les domaines : films, séries, documentaires, stand-up. « Netflix explore les genres qu’on ne trouve pas sur les télés linéaires », souligne Anne-Gabrielle Dauba-Pantanacce : l’horreur avec Marianne, le surnaturel avec Mortel, la science-fiction et le fantastique avec Osmosis. Sans compter les séries-comédies (Family Business, Huge en France) ou les documentaires salués par la critique (Grégory, 13 novembre…). « Nous visons avant tout le marché français en explorant des genres et des histoires et nous voyons ensuite le potentiel mondial », poursuit la dircom.

20 projets de séries

En 2020, la plateforme va continuer de monter en puissance avec plus de vingt projets, selon nos informations. Parmi eux, Arsène Lupin avec Omar Sy, ou une série fantastique d’Aurélien Molas sur la Révolution française (8×52 minutes), construite autour d’un personnage, Joseph Guillotin, et d’une épidémie de « sang bleu » qui affecte l’aristocratie. Elle sera produite par John Doe Production. Pas de quoi faire oublier les relations délicates qu’entretient Netflix avec l’Union syndicale des producteurs français qui lui reproche d’accaparer tous les droits, sur de longues durées et sur tous les continents, en qualité de producteur exécutif. La plateforme assure qu’elle dispose d’un éventail varié de droits et qu’elle échange en permanence avec l’écosystème des pays : « La vérité du jour n’est pas celle du lendemain, c’est une boîte très pragmatique », relève la dircom. France Télévisions a eu la surprise de découvrir que Dix pour cent, financée par le groupe public, avait été abusivement présentée comme un « original » sous le nom de Call my agent. Netflix plaide que le label « originals » assure aux œuvres une énorme visibilité en leur permettant de remonter dans l’algorithme du catalogue qui privilégie les contenus maison.

Une chose est sûre, le groupe de SVOD semble désireux de jouer la carte de la création en France. Marie-Laure Daridan, sa directrice des affaires publiques, a promis en novembre à Dijon que ses productions respecteraient le droit moral français. Et Pascal Rogard, directeur général de la SACD, ne tarit pas d’éloges sur le géant qui dispose d’un accord de droits d’auteur. Les créateurs attendent aussi beaucoup des obligations de contribution que va donner aux plateformes la nouvelle loi sur l’audiovisuel. Netflix pourrait, à cette occasion, presque doubler son investissement en France en atteignant 150 millions d’euros. Il ne reste plus qu’à y parachever l’organisation : Damien Couvreur est en charge de séries et Sara May du licensing mais Diego Bunuel vient de quitter l’unité « documentaires ». Le siège parisien pourra-t-il se passer de directeur général ? À Netflix, on assure que la cogestion est au programme. Mais, comme l’observe un dirigeant de l’audiovisuel, viendra un moment ou Netflix France devra être incarné. « Jusqu’ici, la plateforme a pris 100 % de la notoriété et de la visibilité en surinvestissant dans la com. Comme Canal n’avait pas de prise de parole, c’est bien joué. » Mais cela peut changer… 

«Une appétence pour les séries françaises»

Avec plus de 8 millions de followers en France sur les réseaux sociaux, Netflix mise sur sa communauté pour favoriser le succès de ses productions. « On entre de plus en plus dans les familles, observe Benjamin Cléry-Melin, directeur marketing de Netflix France, en étant avant tout des fans de séries et de films, et non au-dessus du consommateur ». Le spécialiste constate « une appétence pour les séries françaises », notamment sur Instagram. La mise en avant de la diversité et des nouveaux talents compte pour beaucoup : « Il y a une envie de se voir représentés à l’image ». Sur le plan médiaplanning, chaque lancement d’une production maison est un « prototype » : « C’est une réinvention, comme pour un film », observe le directeur marketing. Affichage, cinéma, TV (dans une moindre mesure)… Mais seuls les réseaux sociaux sont jugés fondamentaux dans la mesure où ils permettent de comprendre les attentes du public. « Mortel a rencontré un incroyable succès, on a suivi les comportements de fans qui allaient jusqu’à se faire tatouer. » La sortie d’un contenu est accompagnée de la livraison d’un making of. Même l’addiction à Netflix est surveillée : au moment du bac, un post responsable est envoyé pour signaler quand il est tard.

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