En 2019, le paysage audiovisuel devrait connaître quelques secousses. Pas forcément du côté de l’offre historique, plutôt du côté « des nouvelles formes de consommation de programmes, c’est-à-dire la télévision via internet, les opérateurs comme Molotov, les services de vidéos à la demande par abonnement [SVOD], gratuits ou payants », comme le définit Julien Rosanvallon, directeur du département TV de Médiamétrie. Un univers sans limites qualifié par l’acronyme OTT [Over the Top], où sont attendues cette année les offres SVOD d’Apple et de Disney, et, en France, le lancement en juin de Salto, la plateforme devant regrouper les contenus de France Télévisions, TF1 et M6.
Ces nouveaux entrants sur le marché de l'OTT tenteront de prendre place dans un paysage qui comptait en septembre 2018 plus de 13,5 millions d’abonnés à une offre payante de vidéos. Ces derniers ont déjà l’embarras du choix, avec plus de 65 opérateurs référencés, de l’historique plateforme française FilmoTV à celles de niche, comme OI Film, dédiée aux films d’auteur et documentaires de l’Océan indien. Avec 3,5 à 4 millions d’abonnés français, Netflix domine le marché en France. Selon l’étude Harris Interactive et Vertigo, réalisée pour le CNC, plus de 53 % des consommateurs de SVOD étaient sur Netflix en septembre dernier, contre 15,8 % chez Amazon Prime Vidéo, 13,8 % sur MyCanal, 10,7 % sur SFR Play et 7,1 % chez Filmo TV. « Avec un code Netflix souvent partagé par plusieurs individus, il y a peut-être 9 millions d’utilisateurs », souligne le directeur screen de Mindshare, Olivier Roberdeau.
Parmi eux, une forte proportion de jeunes. Près de 26 % des millennials partageraient leurs identifiants Netflix, affirmait au récent CES de Las Vegas la société Synamedia, qui propose un service contre ce piratage. Globalement, les 15-24 ans – soit 12 % de la population française - représentaient un quart de l’audience 3 écrans de Netflix en septembre dernier, selon Médiamétrie, et 28 % du temps passé. Cet écosystème étant exempt d’annonceurs, « cela cause du tort à tous, les chaînes mais aussi Facebook ou YouTube », relève Olivier Roberdeau.
Nouveaux usages
Chez Médiamétrie, on nuance toutefois cet engouement. « Il est vrai que ces plateformes constituent 15 % des usages vidéo des 15-24 ans, les nouveaux usages de la TV représentant presqu’autant, mais la TV en live reste dominante, avec 43 % des usages », relève Julien Rosanvallon. Car, pour l’expert de la mesure, « la SVOD ne propose qu’une partie de l’offre TV, qui dispose des sports, de l’information, des divertissements... »
En outre, un succès phénoménal comme Casa Del Papel « est d’abord une série de la chaîne espagnole Antena 3, à laquelle Netflix a donné une audience internationale, rappelle Florence Le Borgne, responsable médias de la société d’études Idate. Les contenus TV restent appréciés, ce sont les voies par lesquelles on y accède qui ont évolué. C’est pourquoi les opérateurs sont obligés de ne plus réfléchir seulement pour la TV, mais de penser linéaire et délinéaire, en ligne et sur mobile... », analyse l’experte.
La majorité des groupes audiovisuels l'ont bien compris, à commencer par Canal+, dont le modèle économique et le service CanalPlay ont sérieusement pâti de la croissance des services de SVOD internationaux. Il y a un an, avec MyCanal, le groupe a créé « une plateforme OTT pour permettre aux abonnés d’accéder à tous les contenus et de faire découvrir au public les services via des programmes gratuits », explique Pierre-Emmanuel Ferrand, directeur digital du groupe. Pour séduire les jeunes, la plateforme est accessible sans engagement - ce qui aurait attiré plus de 100 000 abonnés - à un tarif inférieur à 10 euros pour les moins de 26 ans, qui correspond aux standards définis par Netflix.
Créer de l'engagement
Les opérateurs de TV gratuite ont également adopté cette stratégie de plateforme centralisant l’ensemble de leurs contenus. « Dès 2015 et en s’inspirant de Netflix », rappelle Kim Younes, directrice marketing, innovation et études de M6 Publicité. 6Play compte 24 millions d’inscrits, dont 300 000 nouveaux par mois et « couvre 80 % des moins de 35 ans, un public fidèle », insiste Kim Younes. TF1 a suivi la même stratégie. « La consommation délinéarisée est forte, notamment hors-domicile, explique le directeur des antennes TV et digitales du groupe, Xavier Gandon. Il fallait y répondre avec MyTF1, mais aussi via Molotov TV et des services chez Orange et SFR. »
Côté service public, France Télévisions a lancé l’an dernier sur France.tv une offre spécifique, Slash, pour remédier au péril jeune (voir pages précédentes), « créer de l’engagement et de la conversation avec ce public », précise Tiphaine de Raguenel, directrice des jeunes publics et de l’animation. Résultat : 80% de moins de 30 ans et plus de 2 millions de visiteurs uniques par semaine. Le groupe a aussi multiplié les contenus sur les réseaux sociaux et l’arrivée de Slash sur Snapchat fin 2018 a permis de quadrupler l’impact. « Il faut être le plus en résonance avec les sujets qui touchent ces jeunes : sexualité, travail, genre… », explique Antonio Grigolini, directeur délégué de Slash. Ce n’est donc pas le média TV qui ne les intéresse plus ; pour Tiphaine de Raguenel, « ce qui attire ce public, ce sont les nouveaux modes de narration. » Ce qu’avait compris Netflix.
N-1 pour la mesure d’audience globale
« L’objectif reste 2020, année où la mesure deviendra nativement 4 écrans et avec l’audience hors-domicile en complément », martèle Julien Rosanvallon, directeur du département TV de Médiamétrie. Depuis trois ans, l'institut d'études s’est lancé dans la mise à disposition des audiences des programmes TV sur tous les supports et modes de consommation, avec l’idée que le Mediamat global soit systématique l’an prochain. S’y est ajoutée la nécessité d’un volet hors-domicile, de plus en plus important comme l’a montré encore le Mondial de football en 2018, avec au moins 20 % de l’audience des matchs qui se faisaient à l’extérieur. « Elle sera calculée avec la mesure portée, qu’on compte développer pour la TV et la radio », annonce le dirigeant.