Cessions
Le groupe Lagardère a décidé de se défaire de l'essentiel de ses actifs médias. Les titres de l'ex-leader de la presse magazine mondiale devraient être rachetés par un groupe tchèque tandis que le groupe TF1 lorgne Doctissimo et que les chaînes de TV devraient rapidement intégrer un groupe audiovisuel français.

[Cet article est issu du n°1950 de Stratégies, daté du 17 mai 2018]

 

À lui la distribution dans les lieux de transport (48 % du chiffre d’affaires du groupe Lagardère en 2017) et l'édition (33 %). Adieu le sport (7 %) et les médias (Lagardère Active 12 %). Le 3 mai, sur l’estrade d’une immense salle du Carrousel du Louvre emplie de petits actionnaires, Arnaud Lagardère, détendu et convaincu, a expliqué sa nouvelle stratégie pour le groupe, fortement influencée par les pressions du fonds Amber, qui détient 4 % du capital : « Nous sommes en train de mettre en place un changement assez historique pour le groupe ». Le père, Jean-Luc Lagardère avait racheté en 1980 le groupe Hachette, ses livres et sa presse. Quinze ans après son accession à la tête du groupe, le fils veut céder deux de ses quatre branches : « pour être plus ambitieux et plus concentré ». Il veut « quitter des métiers plus consommateurs de cash et moins générateurs de cash (sic) ».

Sur la page d’accueil du site de Lagardère Active, l’heure est encore à la gloriole. « Lagardère Active occupe une place centrale dans les médias en France, avec une puissance fondée sur des marques premium emblématiques et réputées […] 26 radios, 17 chaînes de télévision et numéro un de la production audiovisuelle en France et en Espagne... » Plus pour longtemps, donc. Lagardère Active, dirigé depuis sept ans par Denis Olivennes, est démembré. Le pôle presse Télé 7 jours, Elle ou Version Fémina, poids lourds de leurs secteurs, est en passe d'être vendu au groupe tchèque Czech Media Invest avec lequel un accord de négociations exclusives a été signé. Seuls Europe 1 (– 19 millions d'euros de résultat opérationnel en 2017), Paris Match (+5 millions en 2017) et Le Journal du dimanche (à l'équilibre après des pertes annuelles de 2 à 3 millions), resteront dans le groupe au sein du pôle news avec deux stations musicales en forme : Virgin radio et RFM.

Hostilité

Les trois autres pôles sont également à vendre : télévision (Gulli, Canal J et Tiji, Mezzo, MCM), Lagardère Studios (C dans l'air, Joséphine, ange gardien, Clem) et les activités numériques (Doctissimo, MonDocteur.fr, BilletReduc.com). « C’est une stratégie logique car avant même qu’il ne prenne le relais de son père, Arnaud Lagardère n’avait jamais marqué une grande sympathie pour le pôle média et même une certaine hostilité envers les quotidiens avec la vente de Nice Matin et de La Provence » rappelle Jean-Clément Texier, président de Ringier France et spécialiste de la presse. Depuis, il y a eu les ventes à Hearst des éditions internationales de Elle en 2011 puis les cessions en 2014 de huit titres à Reworld Media, de Première et Psychologies Magazine au groupe Rossel. Selon nos informations, d'autres mouvements auraient été envisagés, dont un rapprochement avec NextRadioTV, avant qu'Altice ne scelle l'affaire, ou avec Bouygues pour la création d'un pôle TV d'ampleur. Mais aucune de ces potentielles révolutions médiatiques n'a abouti. Lagardère Active a poursuivi une politique d'optimisation de ses résultats dans un environnement réduit côté presse. Et à trop réduire son périmètre médiatique, Arnaud Lagardère finit par le céder. Reste à ne pas le brader.

En vendant ses radios en République tchèque, Pologne, Slovaquie et Roumanie au groupe Czech Media Invest, Lagardère a identifié un acquéreur sérieux pour sa presse. Les négociations exclusives sont en cours depuis avril. « C’est un peu un miracle de trouver un acheteur comme Daniel Kretinsky, qui a eu le courage d'investir dans les centrales thermiques à contre-cycle » souligne Jean-Clément Texier. Résultat, le milliardaire francophile qui possède le premier groupe de médias dans son pays entend racheter aussi Marianne.

Aucune mutualisation en vue

Quid des autres grands groupes de presse implantés en France ? Ce n'est sans doute pas le moment pour Mondadori et Prisma Media, ses concurrents directs, d'augmenter leur portefeuille papier alors que l'urgence et la difficulté sont à la conversion numérique de leurs titres dont les ventes s'érodent. Chez Lagardère, on assure que Kretinsky présente l'avantage de ne pas avoir de mutualisation en vue, puisqu'aucun titre ne fera doublon dans son portefeuille. Deux plans sociaux ont déjà eu lieu depuis 2013. Les équipes devraient intégrer le bâtiment dans lequel elles déménageront, comme prévu, fin 2018, à Levallois-Perret. Pour l'heure, l'homme providentiel est « entré dans la data room et on lui dévoile tous les chiffres en détail jusqu'à fin juin, explique une source syndicale. Nous lui demanderons son projet industriel et une garantie d'emplois sur plusieurs années ». La vente pourrait être effective fin 2018.  

D'ici là, selon nos informations, le pôle télé, passé d'un marché hexagonal à un chiffre d'affaires de 40 % à l'international devrait être vendu à un seul et même groupe français, assez rapidement. TF1, Canal+, M6 et Mediawan seraient sur les rangs. Quant au pôle numérique, TF1 négocierait le rachat de Doctissimo tandis que Fnac Darty, Le Figaro et Vivendi lorgneraient BilletReduc.fr. « Ces cessions ne se feront pas dans l'empressement et nous en maximiserons le prix, a assuré devant ses petits actionnaires, Arnaud Lagardère. Et le produit de ces cessions sera réinvesti dans les deux piliers du groupe ». Une ère s'achève...

sous papier



Europe 1 : tout reste à faire



Ils seront restés moins de onze mois, contre les trois ans promis. Frédéric Schlesinger, patron du pôle radio de Lagardère depuis juillet 2017, Emmanuel Perreau, directeur délégué d’Europe 1 et Jean Beghin, directeur adjoint du pôle radio, venus de Radio France n’ont pas gagné leur pari : réinventer la station. Mais le train express qui relie la maison ronde à la rue François 1er n’est pas en panne. Laurent Guimier, numéro 2 de Radio France et passé, pendant 18 ans, chez Europe 1 dont il a dirigé la rédaction de 2008 à 2010, arrive rue François 1er. Saura-t-il faire mieux que ses prédécesseurs ? L’ardoise laissée (-19 millions en 2017) est lourde et la radio a touché le fond avec son pire score historique : 6,6 % d’audience cumulée fin 2017, avant de remonter légèrement à 6,8 % en janvier-mars 2018, selon Médiamétrie. L'équipe en place a perdu la confiance de son actionnaire, Arnaud Lagardère et de son très influent conseiller Ramzi Khiroun fin 2017. L'annulation de la campagne de pub prévue en février dernier et actant de résultats (enfin) encourageants a scellé la rupture.

La grille, totalement remaniée à la rentrée dernière a déconcerté plus que concerné l’auditeur. Seules réussites ? Raphaëlle Duchemin entre 5h et 6h (+23 % en quart d’heure moyen d’audience selon Médiamétrie entre janvier et mars 2018), Daphné Bürki (+7 % entre 10h30 et 11h30), et Matthieu Noël. Quant à Patrick Cohen, l’ex-matinalier triomphant de France Inter a été perçu trop à gauche pour les oreilles des auditeurs, selon une étude menée en interne cet automne. Rien ne va plus… mais les jeux ne sont pas faits. À Laurent Guimier de tenter sa chance.

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