politique
Aurélie Filippetti, la nouvelle ministre de la Culture et de la Communication, a des convictions bien ancrées à gauche. Elle affiche une forte combativité sur les chantiers médias.

En remettant le 21 mai au réalisateur italien Nanni Moretti sa première décoration de commandeur des Arts et des Lettres, lors du Festival de Cannes, Aurélie Filippetti s'est exprimée en italien. Un signe que, pour la nouvelle ministre de la Culture et de la Communication, la question des origines n'est jamais très loin. Cette normalienne agrégée de lettres classiques, fille d'un ancien mineur de fond et élu communiste, l'a prouvé en consacrant son premier livre (1) à la mémoire ouvrière de Lorraine et à son grand-père, immigré italien, résistant et déporté après avoir été arrêté par la Gestapo.

Si les médias voient déjà en elle «l'atout charme du gouvernement» ou un enfant modèle de la République bardé de 19/20 sur son carnet de notes (comme on a pu le voir dans un reportage de France 2), ils oublient parfois qu'Aurélie Filippetti, trente-huit ans, est d'abord une combattante politique très aiguisée. Elle l'a montré aux côtés des Verts d'abord, jusqu'à ce que lui soit refusée la circonscription de l'ancien site sidérurgique de Longwy, en 2006; au Parti socialiste, ensuite, où elle a épaulé Ségolène Royal en 2007, puis François Hollande, dont elle fut le chef du pôle culture et médias durant toute la campagne. Lorsqu'en 2010, elle combat la loi sur les jeux en ligne, elle n'hésite pas à intervenir… 175 fois à l'Assemblée pour tenter d'amender un texte qui «augmente les risques d'addiction» et «entraine davantage de problèmes sociaux chez les populations les plus pauvres, car le pourcentage de dépenses ludiques y est plus important».

Entre détricotage et concertation

Sitôt nommée rue de Valois, la députée de Moselle montre qu'elle n'a pas froid aux yeux. Elle remet en jeu son portefeuille en le soumettant à la sanction des électeurs dans une 1re circonscription redécoupée de Lorraine. Et s'attaque, fil après fil, à détricoter tous les grands travaux – contestés – du précédent gouvernement. RFI, dont la fusion avec France 24 est juridiquement actée? «Le déménagement n'est pas inéluctable, déclare-t-elle sur France Inter. On peut faire revenir les choses en arrière. Ce n'est certainement pas pour une question de locaux ou de matériels qu'on se sentira les mains liées.» A l'Elysée, une source confirme que le gouvernement «ne laissera pas faire» le PDG de l'Audiovisuel extérieur de la France, Alain de Pouzilhac, dont on refuse la tentative de passage en force. La vocation multilingue, populaire et africaine de RFI devrait donc être réaffirmée, ses rédactions demeurer séparées de France 24 à la Maison de la radio. Et la scission prononcée?

Sur Hadopi, c'est sans grande surprise qu'Aurélie Filippetti, qui s'était farouchement opposée à la loi, a réaffirmé la position du PS. Une grande concertation est annoncée afin d'associer l'ensemble des acteurs de la filière culturelle. Elle prendra «au moins six mois» selon Fleur Pellerin, la ministre déléguée aux PME et à l'économie numérique.

Ce qui n'empêche pas sa collègue, qui aura autorité sur le dossier, de rappeler le cadre de «l'acte 2 de l'exception culturelle»: «Le système de sanction est inefficace et négatif du point de vue du message qu'on veut faire passer», a t-elle synthétisé sur France Inter. «Aurélie Filippetti condamne de facto Hadopi», titre le figaro.fr, qui fait un parallèle avec l'effet d'annonce intempestif de Vincent Peillon, ministre de l'Education, sur la semaine scolaire de cinq jours.

Pour la désignation des présidents de l'audiovisuel public, un « nouveau CSA coupé de l'exécutif» sera constitué avant la fin janvier 2013, date de la fin de mandat de son président, Michel Boyon. Aurélie Filippetti a montré qu'elle savait défendre pied à pied ses convictions lors de l'examen de la loi supprimant la publicité sur France Télévisions. A présent, elle devrait s'attacher à assurer l'avenir du groupe public en maintenant la publicité en journée et en indexant sur l'inflation une redevance élargie aux nouveaux écrans et aux résidences secondaires. Elle attend aussi des chaînes publiques davantage d' «audace éditoriale».

Moins connu est en revanche son attachement à des règles anticoncentration très strictes. «Le véritable danger pour le pluralisme et l'indépendance des médias, ce n'est pas tant la concentration autour de grands groupes que l'immixtion de conglomérats industriels, qui s'y insèrent avec des stratégies d'influence très claires», déclarait-elle à Stratégies en avril. Les seuils de participation aux groupes audiovisuels ou de presse devraient être strictement limités et surveillés

Groupes dans le collimateur

Difficile de ne pas songer que des groupes comme Bouygues ou Dassault sont dans son collimateur. Elle a d'ailleurs une raison très privée d'en vouloir au Figaro, propriété de Serge Dassault: c'est ce quotidien qu'elle a qualifié de «courroie de transmission des basses œuvres de l'Elysée» qui avait révélé, en février 2009, le dépôt d'une plainte dans la nuit pour violence conjugales contre son compagnon de l'époque, l'économiste Thomas Piketty. Dans Sarko m'a tuer, le livre de Gérard Davet et Fabrice Lhommme, puis sur France Inter, elle avait expliqué que «la décision de publier cette information a été prise au plus haut niveau».

Pour porter son combat, (et le tempérer?) elle peut désormais compter sur l'appui de l'Elysée. On y trouve David Kessler, le conseiller culture et médias de François Hollande et très consensuel défenseur du droit d'auteur, et Aquilino Morelle, le conseiller politique dont la compagne n'est autre que Laurence Engel, l'ex-directrice des affaires culturelles de Bertrand Delanoë à la mairie de Paris, qui vient d'être nommée directrice du cabinet d'Aurélie Filippetti. 

 

(1) Les Derniers Jours de la classe ouvrière, Editions Stock, 2003.

 

Encadré

David Kessler à l'Elysée

L'ancien conseiller à la culture et à la communication de Lionel Jopin, Premier ministre (1997-2001), est nommé conseiller de François Hollande pour la culture et les médias. Ce conseiller d'Etat, normalien et énarque, a occupé des postes dans tous les médias et institutions audiovisuelles, du CSA au Huffington Post en passant par France Télévisions, le CNC, France Culture, Radio France ou Les Inrockuptibles, auprès de son ami Matthieu Pigasse.

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