Le cinquantième anniversaire de la signature des accords d'Evian (18 mars 1962) a montré à quel point il pouvait être difficile de regarder l'histoire en face. La guerre d'Algérie, longtemps euphémiquement baptisée «les évènements», est plutôt mal connue des Français, et justice n'a pas toujours été rendue aux victimes. Les tabous persistants, les témoins qui n'ont pas osé ou n'osent pas parler, les difficultés du monde culturel lorsqu'il veut s'emparer de ce sujet sont autant d'entraves au travail de mémoire.
Construire une mémoire
C'est pour éviter cette situation que, deux ans après Iranian Stories, le site Syrian Stories a vu le jour la semaine dernière, en partenariat avec la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme (FIDH). Son objectif: construire la «mémoire» du conflit syrien, en rassemblant et mettant en ligne des témoignages, notamment vidéo, de personnes présentes sur place.
«Compte tenu du contexte malheureux en Syrie, explique Nicolas Diaz, responsable des systèmes d'information à la FIDH, nous avons voulu réitérer l'expérience d'Iranian Stories, mais en introduisant cette fois un nouvel acteur, Telecomix, un groupe de hackers né en Suède, qui collecte des vidéos tournées dans le périmètre syrien.» Quelque 300 vidéos ont été ainsi transférées de manière «sûre» pour les net-citoyens, et stockées dans la base de données de Syrian Stories, grâce à Telecomix, qui lutte depuis longtemps contre la censure syrienne.
Réserve de preuves
Deux journalistes, Thibault Lefèvre et Philippe Servent, sont ensuite chargés d'éditorialiser le site. «Il faut effectuer un travail de qualification, de sélection des vidéos, assure Nicolas Diaz. Nous recevons quotidiennement des images. Certaines sont assez violentes, or nous ne voulons pas tomber dans le voyeurisme. Nous ne pouvons pas tout poster.»
Certains militants de la FIDH, présents sur place, témoigneront également. La FIDH justifie ce concept de «construction d'unemémoire», au cœur de l'initiative, en expliquant que Syrian Stories est un «hommage à tous ceux qui postent des témoignages» depuis un an, qui prennent des risques pour la capture d'images et leur transmission, et que là où il y a «hommage», il y a «mémoire». Mais il y a aussi cette ferme volonté de ne pas laisser les criminels impunis, en constituant d'ores et déjà une réserve de preuves, par exemple, «si un jour Bachar Al-Assad est déféré devant la Cour pénale internationale...», espère Nicolas Diaz.