A l'époque, le projet avait pour nom de code Cerise, et la première personne que ses fondateurs avaient contactée avait pour nom Claude Perdriel. «Nous avionspassé des heures à discuter, dans le bureau de Claude, de ce qui se faisait sur Internet», se souvient Pierre Haski, l'un des pères de Rue 89. Le 5 janvier, le «petit groupe de pirates», comme aiment à se définir Pierre Haski, Pascal Riché et Laurent Mauriac, ont hissé leur drapeau au sein du groupe Nouvel Observateur lors d'un déjeuner de presse, organisé dans les locaux de L'Obs, place de la Bourse à Paris, en présence de Claude Perdriel, président-fondateur du Nouvel Observateur, Laurent Joffrin et Nathalie Collin, coprésidents du directoire.
«Notre journal va atteindre la cinquantaine avec ce léger handicap: nous restons un magazine papier classique», reconnaît Claude Perdriel, qui en a profité pour professer sa passion pour Internet: «C'est exactement ce que j'ai aimé toute ma vie. Je retrouve l'esprit de Mai 68 sur le Web.»
Maître mot de la conférence, maintes fois martelé: l'indépendance de Rue 89. Laurent Joffrin, qui, par ailleurs, connaît bien les fondateurs du site pour les avoir dirigés à Libération, l'assure: «Le contenu de Rue 89 ne me regarde pas: chacun pour soi et les internautes seront bien gardés.» Comme une réponse à Daniel Schneidermann, ancien de Libé, qui s'est alarmé du rachat du site (à 7,5 millions d'euros) dans une tribune intitulée «Boulevard 89 ou Impasse 89?» sur le site de... Rue 89. «J'ai toujours détesté que les actionnaires d'un journal se considèrent comme ses propriétaires», souligne Claude Perdriel. Une charte va être proposée aux équipes du site, qui leur garantit les coudées franches vis-à-vis de la maison mère.
Fusion commerciale et synergies éditoriales
En revanche, les régies du site et de L'Obs vont être réunies: les espaces publicitaires de Rue 89 seront désormais commercialisés par Régie Obs.
Parmi les synergies mises en œuvre, un projet bien avancé, celui de Sport, un service de sport commun au site et au groupe, «essai grandeur nature de ce que nous pouvons faire ensemble», souligne Claude Perdriel.
Rue 89, qui a réalisé 2 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2011 avec 360 000 euros de pertes, poursuivra les deux activités annexes au site: les formations et les prestations de services. En revanche, son mensuel papier (diffusion: 15 à 20 000 exemplaires) pourrait ne pas survivre au rapprochement. «Nous réévaluons notre investissement dans le titre, reconnaît Pascal Riché. Il ne nous a pas fait perdre d'argent et nous a permis de développer des formats adaptables aux tablettes.»
Futur chantier: le développement de déclinaisons locales, à l'instar de celles de Marseille et Lyon, «un chantier immense, notamment grâce aux possibilités offertes par la géolocalisation», précise Pierre Haski.
Le dossier de La Tribune regardé et refermé
«Nous travaillerons ensemble sur les sujets d'innovation, les transformations de nos métiers», annonce quant à lui Claude Perdriel. Qui avoue pourtant avoir regardé le dossier d'un média papier, celui de La Tribune. «Comment ne pas s'y intéresser?, reconnaît-il. Mais je n'ai jamais pu attacher mon nom à une vague de licenciements.» Et le souvenir du rachat manqué du Monde est toujours vivace, même s'il ne fait naître aucun regret. «A cette époque, j'avais des insomnies. Aujourd'hui, je dors beaucoup mieux! Les quotidiens du monde entier sont en péril. Etre directeur de quotidien est beaucoup trop angoissant.»
Face aux futurs concurrents, numériques cette fois, la tranquillité est également de mise: «Le concept du Huffington Post était original au moment de son lancement, estime Claude Perdriel. En France, il arrive un peu tard.» Aucune inquiétude, donc? «Nous, lâche Laurent Joffrin, nous allons faire le Huffington Obs.»