La technique était utilisée depuis longtemps par les sites sportifs pour couvrir les matchs de football ou de tennis et, en 2011, le live a gagné les rubriques politique, internationale et même people des principaux sites d'information français. Chute d'Hosni Moubarak, et plus tard de Mouammar Kadhafi, catastrophe nucléaire au Japon, arrestation de Dominique Strauss-Kahn à New York, et plus récemment Primaire au Parti socialiste: lorsque l'actualité s'y prête, les sites passent en mode live.
Du Monde.fr à France24.com en passant par 20minutes.fr et parfois certains portails de presse régionale, ces sites proposent alors à leurs internautes un module qui permet de suivre minute par minute les dernières informations qui tombent sur le sujet. Un flux au sein duquel se mêlent brèves rédigées par la rédaction, photos, vidéos, commentaires ou questions des internautes, et parfois une sélection de messages postés sur Twitter.
«C'est un format pratique pour couvrir des événements qui évoluent vite, particulièrement lorsqu'ils vivent via le Web, le live permettant de donner de l'écho à ces sources différentes que sont par exemple des tweets», explique Alexis Delcambre, rédacteur en chef du Monde.fr. «Ça permet une plus grande interactivité avec les lecteurs, dont les commentaires peuvent être repris au sein même du live», renchérit Clémence Lemaistre, à la tête du site Internet de 20 Minutes.
Et le concept plaît. À 20minutes.fr, le record a été atteint le 19 mai dernier, en pleine affaire DSK, avec quelque 286 000 visites. «En cas de très grosse actualité, les live peuvent générer plus de 30% de l'audience du site sur une journée», chiffre Clémence Lemaistre. Lemonde.fr établit son record à 100 000 personnes connectées à un instant T. À lui seul, le live consacré au premier tour de la primaire socialiste a rassemblé près de 350 000 lecteurs.
«Les live entraînent des visites plus longues, les internautes ayant envie de connaître la suite de l'histoire», estime Alexis Delcambre. Ils sont également source de trafic pour les autres contenus du site, des articles anglés par exemple, vers lesquels renvoient les journalistes en charge du live.
Parmi les tout premiers à avoir opté pour ce format innovant, le site Internet de La Nouvelle République, lors du procès de Véronique Courjault qui s'est tenu à Tours en juin 2009. «C'est le moyen que nous avons trouvé pour informer en temps réel toutes les personnes qui étaient restées à la porte de la salle d'audience, faute de place», se souvient Jean-Christophe Solon, l'un des journalistes chargés de couvrir le procès en direct sur Internet.
Suivra 20minutes.fr au moment du procès Clearstream fin 2009. Un mode de traitement expérimenté par de plus en plus de sites et qui s'est généralisé à partir du début de l'année 2011, avec les révolutions arabes.
«Les live sont devenus très réguliers cette année du fait de l'intensité de l'actualité. Facebook et, dans une moindre mesure, Twitter ont également installé chez les internautes une habitude de lecture verticale où différentes voix s'expriment. Aujourd'hui, le live est un format qui ne rebute pas», estime Alexis Delcambre du Monde.fr.
Point d'orgue de cette nouvelle tendance, la plate-forme numérique lancée par France Télévisions le mois dernier, France TV Info. Quelle que soit l'actualité du moment, le live y est une rubrique à part entière. Brèves, liens, photos, vidéos, la rédaction répond également en direct aux questions des internautes, tel un forum de discussion géant. «C'est un nouveau mode de narration que nous sommes en train d'inventer», expliquait lors de la conférence de lancement Célia Mériguet, sa rédactrice en chef.
Sur la plupart des sites, à chaque actualité son live. Débat politique, sommet européen, mais aussi chute des marchés financiers, et même mariage princier ou défilé de mode, le format se décline pour des événements très variés.
«Sur la Libye, le site de France 24 a tenu un live pendant trois jours sans interruption. Mais ce n'est pas la durée qui en fait son succès. Pour que nous déclenchions un live, il faut que nous ayons une variété de sources sur le terrain. L'idée n'est pas de relayer seulement les urgents de l'AFP et ce qui se dit déjà partout», expliquait Karine Broyer, rédactrice en chef de France24.com, à l'occasion des Assises du journalisme qui se sont tenues à Poitiers début novembre.
En cas de live politique, le travail de la rédaction est également de vérifier en temps réel les dires des hommes politiques. C'est ce qu'on appelle dans le jargon du journalisme Web le «fact checking», la vérification des faits. Derniers exemples en date, le live du Monde.fr sur le débat entre Martine Aubry et François Hollande à quelques jours du deuxième tour de la primaire socialiste ou celui sur le discours de Nicolas Sarkozy à Toulon le 1er décembre dernier.
«Le "fact checking" est généralement assuré par les journalistes spécialisés, aidés des articles déjà publiés sur le sujet. Mais, même avec beaucoup de moyens, il y a des choses qui sont difficiles à vérifier en direct», estime Jonathan Parienté, journaliste au Monde.fr.
Désormais, le direct n'est plus réservé au petit écran ou au média radio. Il gagne les titres de presse écrite, via leur site Internet.
«Sur la toile, la réactivité est supérieure à celle des chaînes d'information», estime Antoine Clément, directeur général Web de 20 Minutes. Twitter n'y est pas pour rien. Ces deux dernières années, le site de microblogging s'est imposé dans les rédactions françaises comme une source d'information incontournable, dont les messages sont souvent repris par les médias eux-mêmes dans leur live.
Meilleur exemple, la première audience qui a suivi l'arrestation à New York de Dominique Strauss-Kahn en mai dernier. «Le 16 mai, pendant les 50 minutes où DSK a été dans la salle d'audience, de 17h42 à 18h32, les seules informations disponibles, notamment en France, étaient mes 40 tweets et les 25 de Jean-Philippe Balasse d'Europe 1, la comparution n'étant pas filmée en direct et aucun reporter ne voulant sortir de la salle d'audience ni ne pouvant téléphoner. Le live-tweet a été le seul moyen pour des sites comme Le Monde ou L'Obs de couvrir l'événement», se souvient François Dufour, cofondateur des éditions Playbac et auteur d'un essai sur le sujet à paraître début 2012.
Ce nouveau format peut-il générer des revenus? Pour la première fois en avril, la régie du groupe Le Monde commercialisera ses live à l'occasion de l'élection présidentielle. «Nous savons que ce sera un produit important pour suivre la campagne de 2012, tant en termes d'audience que de profil d'internautes. Nous voulons donc associer les annonceurs pendant le live mais également en amont, lors de l'autopromotion», explique Élisabeth Cialdella, directrice déléguée au marketing et à la communication de M Publicité.
De son côté, 20minutes.fr réfléchit à la création d'offres de sponsoring pour des live sur des sujets «légers», comme des rencontres sportives ou des événements culturels. À quand un live de procès pour blanchiment sponsorisé par une marque de lessive?