«Laurent Gbagbo en fuite, les combats continuent à Abidjan.» Vendredi 1er avril, jour du bouclage de sa nouvelle formule, Jeune Afrique devait répondre présent sur deux fronts: son site Internet au million de visiteurs uniques, qui suivait en direct les soubresauts de l'actualité ivoirienne via un fil «live» avec les internautes, et le magazine lui-même, contraint de bousculer son chemin de fer pour couvrir le suspense autour de la chute du président ivoirien. Fort heureusement, «Ces francs-maçons qui vous gouvernent» est resté en couverture de l'hebdo lundi 4 avril, «Gbagbo, les secrets d'une chute» restant en simple appel de une!
À vrai dire, ce n'est pas la première fois que l'histoire africaine s'emballe un vendredi, à quelques heures du bouclage. Le départ de Ben Ali? Un vendredi. La démission de Moubarak? Idem. Jeune Afrique doit s'habituer à cette passion africaine du vendredi. «Dans les années 1980, explique Marwane Ben Yahmed, directeur exécutif de la rédaction, nous pouvions à peu près tout dire. Aujourd'hui, face à une concurrence qui s'est accrue et compte tenu de notre image et de notre notoriété, on attend beaucoup de nous. Pour tout sujet, nous recevons 16 courriers, 37 courriels et X droits de réponse. Il y a une vraie demande de sens, pour savoir vers où l'on va.»
Le 4 avril, Jeune Afrique a tenté de répondre à cette exigence avec une formule qui se veut plus exhaustive de façon à toucher tous les pays africains et, surtout, en renforçant les tribunes et les débats. Explications: le titre tient à laisser une place aux opinions qui s'écartent de sa ligne éditoriale, dessinée depuis toujours par Béchir Ben Yahmed, son fondateur. Le 19 mars, par exemple, celui-ci reprochait à l'Union africaine (UA) d'avoir mis trois mois avant de dire à Laurent Gbagbo qu'il avait perdu les élections ivoiriennes et de n'avoir rien fait pour peser auprès de la Chine et de la Russie de façon à ce que le Conseil de sécurité de l'ONU mette un terme à cette «usurpation». De même, Jean Ping, président de la commission de l'UA, fut tancé pour n'avoir «jamais dit un mot pour se féliciter, fût-ce indirectement, de l'avènement de la démocratie en Tunisie et en Égypte».
Fidéliser les lecteurs occasionnels
Quant à l'offensive occidentale contre la Libye, elle est approuvée sans fausse pudeur par le journal, qui avait subi un attentat de Kadhafi contre son siège, avenue des Ternes à Paris, dans les années 1980. Béchir Ben Yahmed parle à son sujet de la «passivité criminelle» des dirigeants arabo-africains. «C'est vrai que les interventions internationales n'arrivent que dans les pays pétroliers et que nous aurions préféré que l'UA et la Ligue arabe prennent les choses en main, justifie son fils Marwane. C'est vrai que se dessine en Libye un conflit Est-Ouest plus qu'une révolution qui embrase le pays. Mais entre l'imperfection de la communauté internationale et rien, je préfère l'imperfection.» Une position qui est loin de faire l'unanimité sur les forums africains, où la fibre anticoloniale vibre parfois à plein régime.
Avec 61 034 exemplaires de diffusion payée en 2010 (OJD), Jeune Afrique veut arriver à 70 000 exemplaires dans un an et demi au plus tard. Ses ventes, en hausse sur trois ans, marquent un essoufflement en 2010 (–1,67%). «Nous avons beaucoup de lecteurs occasionnels, explique Amir Ben Yahmed, vice-président du groupe. Ce sont eux que nous voulons fidéliser en étant plus exhaustifs, davantage dans le débat et en étoffant notre cahier économique. De temps en temps, nous avons tendance à un peu trop écrire pour les initiés…» Quant aux révolutions africaines, elles sont vues avec beaucoup d'espoir par Jeune Afrique. Elles sont «bénéfiques pour les ventes et le contenu», selon Marwane Ben Yahmed, même si elles se traduisent, pour l'heure, par un gel des investissements publicitaires.Et 60% du chiffre d'affaires du titre (23 millions d'euros) en dépendent…