Un départ décidé en quelques minutes. «Dès la nouvelle du séisme et du tsunami, vendredi matin [11 mars], TF1 envoie une équipe, composée d'un journaliste, d'un cameraman et d'un preneur de son, au Japon. Une deuxième équipe, en poste en Inde, va les rejoindre. Au final, la constitution d'une troisième équipe, également composée de trois personnes, est décidée. En fin de journée, on me propose de partir. J'ai deux secondes pour prendre une décision. Un sac est toujours prêt à la rédaction, mais je suis obligé de repasser en vitesse chez moi pour prendre plus d'affaires. Dont une paire de bottes en caoutchouc. A 23h30, je suis dans l'avion.»
Premier travail: trouver un «fixeur». «Arrivée samedi matin [12 mars]. Notre première urgence est de louer une voiture et, surtout, de trouver un «fixeur», un interprète local qui pourra nous aider également dans les différentes démarches avec les officiels. Il nous a fallu deux jours et demi avant d'en trouver un qui accepterait de nous suivre dans le nord du pays. “Ça pète trop là-haut”, nous indiquaient tous les autres. Finalement, nous restons à Tokyo.»
Assurer les directs. «Resté à Tokyo, je suis chargé d'assurer les directs dans les JT de 13 heures et de 20 heures. Avec le décalage horaire, cela fait 21 heures et 4 heures du matin au Japon. Je ne dors que 4 heures par journée. A Paris, on nous a trouvé un appartement qui nous servira de studio. Mais, face au chaos, je préfère prendre une chambre dans l'hôtel juste à côté afin de ne pas être bloqué par les embouteillages ou dépendant des transports. Les liaisons sont une horreur. Au début, seul mon téléphone portable français passe. Nous décidons de prendre des mobiles japonais. Chaque équipe est indépendante. Nous ne nous croisons jamais, mais nous restons toujours en contact.»
Rejoindre Sendai rapidement. «Le but du jeu des deux autres équipes est de rejoindre Sendai, au nord du pays, le plus rapidement possible. En voiture, après avoir embarqué des litres d'eau et des jerricans d'essence, ils mettent douze heure pour rejoindre la ville sinistrée. Le badge presse ne sert à rien. Sur le terrain, les autorités se fichent bien de savoir si nous sommes journalistes ou pas. Il y a une règle et ils l'appliquent.»
L'information est bloquée. «Je me rends rapidement compte que l'information est bloquée. Il n'est pas possible d'assister aux conférences de presse ni de s'accréditer. Et nos confrères japonais n'ont pas l'habitude de poser de questions dérangeantes... quand ils posent des questions. Ce n'est pas de la censure, mais un état d'esprit surprenant pour nous. Au Japon, il existe beaucoup de règles non écrites que tout le monde applique.»
Appliquer les règles locales. «Je comprends qu'il faut surtout présenter les choses d'une certaine manière. Tout est dans la façon de poser la question. Si je demande aux Japonais s'ils ont peur, ils rougissent et disent non. Mais si je leur demande s'ils sont inquiets, là, ils nous disent que oui. D'une manière général, le gouvernement ne leur ment pas.»
Les premières craintes. «Dès le départ j'avais pris en compte le risque de l'accident nucléaire. En arrivant au Japon, j'était très confiant sur le niveau d'information que je pouvais avoir. Mais, petit à petit, nous nous sommes posé des questions, jusqu'à un reportage tourné dans Tokyo où des responsables chargés de réaliser des relevés de taux de radioactivité ont refusé de nous montrer des résultats qu'ils assuraient rassurants. A l'ambassade de France aussi, le discours est blanc un jour et noir le lendemain.»
Partir vers le sud. «Mardi 15 mars, je regarde la météo, qui n'est pas très encourageante: les vents viennent du nord et risque de pousser les poussières radioactives sur Tokyo. Notre «fixeur» s'affole. TF1 rapatrie déjà une équipe. Nous, nous décidons de partir en urgence plus au sud, à Osaka. Mes affaires sont toujours prêtes. Nous prenons quatre billets de train et quittons Tokyo illico. Dans ces cas, il faut toujours avoir un plan A, et même un plan B, de repli.»
Un billet d'avion dans la poche. «Depuis mercredi [16 mars], nous sommes à Osaka. Paris ne nous trouve pas d'hôtel. Notre «fixeur» nous déniche des chambres dans ce que je soupçonne être une ancienne maison de passe, mais nous avons un toit. La rédaction de TF1 nous réserve tous les jours un vol, pour Paris ou ailleurs, afin de nous assurer un départ. Paris a également pris, pour nous, les conseils de médecins spécialisés dans les risques nucléaires.»
Un conflit invisible. «C'est la première fois que je vis une telle situation. Ce qui est horrible, c'est que l'on ne voit rien, au contraire d'un conflit où il existe un front de combats, où les gentils et les méchants sont bien identifiés. Nous sommes ici pour rapporter à Paris ce qui s'y passe. Mais la première règle est de rester responsable et de garder la tête froide, malgré la pression de la famille et des proches.»